La diffraction : une clef pour décrypter la matière

Provoquer des collisions entre des particules est un bon moyen pour obtenir des informations sur le projectile, sur la cible et sur leurs constituants. C’est aussi une méthode privilégiée pour déclencher des phénomènes (réactions) qui n’existeraient pas autrement.En variant l’état initial des partenaires et les conditions du choc on peut alors accéder à des informations sur la dynamique de ces interactions. Au Laboratoire des collisions atomiques et moléculaires, l’équipe Interactions d’ions multichargés avec des surfaces vient de développer une nouvelle méthode d’analyse de la matière, basée sur une découverte fondamentale : la diffraction d’atomes rapides.

© CNRS Photothèque / CORDIER Patrick

© CNRS Photothèque / CORDIER Patrick

La diffraction est le nom donné à la déviation des ondes autour des bords d’un objet ou à travers des fentes étroites. L’onde subit alors une dispersion; elle est déviée dans toutes les directions, mais pas forcement avec la même intensité. La figure de diffraction étant liée à la géométrie de l’objet diffractant, elle permet d’étudier la structure de la matière.
La diffraction s’observe pour tous les types d’ondes : lumineuses, hertziennes, acoustiques, rayons X, etc. Par ailleurs, le principe fondamental de la mécanique ondulatoire stipule qu’à chaque particule peut être associée une onde (dualité onde-particule) dont la longueur d’onde λ est liée à l’énergie E de la particule par la relation : E = hv/2λ, où h est la constante de Planck et v la vitesse de la particule. Par conséquent, un faisceau de particules peut aussi être diffracté. Ce phénomène est utilisé dans la diffraction des électrons ou des neutrons.

La diffraction est un phénomène purement ondulatoire (encadré 1) au cœur de la mécanique quantique et dont les implications vont bien au-delà de la physique fondamentale. La diffraction de lumière (rayons-X) ou de particules massives telles que les électrons, les neutrons et même les atomes et les molécules, est à la base de puissantes techniques d’analyse de la matière.

Historiquement, la découverte d’un nouveau phénomène de diffraction a systématiquement donné naissance à un nouveau dispositif permettant de lire directement sur un écran des données microscopiques caractérisant un échantillon. Dans le domaine particulier de la science des surfaces, les outils de diffraction les plus répandus utilisent des électrons lents en incidence normale (LEED) ou rapides en incidence rasante (RHEED) ainsi que des atomes ou des molécules d’énergie thermique (TEAS) en incidence normale. Cette dernière technique fournit une sensibilité exclusive à la première couche de la surface et permet, contrairement à la diffraction d’électrons, une interprétation quantitative de l’intensité des pics d’interférence. Elle souffre cependant de la lourdeur et de la lenteur de son dispositif.

Le RHEED, de part sa géométrie rasante qui laisse libre l’espace autour de l’échantillon et sa facilité de mise en oeuvre, est devenu un outil incontournable dans la croissance de couches minces. Il permet de suivre en temps réel le processus de croissance, en particulier dans les machines d’épitaxie par jets moléculaires (méthode utilisée par Albert Fert dans la découverte de la GMR, voir Plein Sud N°69).

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Nous avons découvert un nouveau régime de diffraction d’atomes et molécules rapides (énergie autour du keV) en incidence rasante sur une surface solide. Pour simplifier, ce nouveau mode combine les avantages de la diffraction d’atomes thermiques en termes de sensibilité à la surface et la capacité de suivi temps réel de la diffraction d’électrons de haute énergie. Ce nouveau phénomène quantique offre l’opportunité de développer une nouvelle technique d’analyse de surface que nous avons baptisée GIFAD pour Grazing Incidence Fast Atom Diffraction (diffraction d’atomes rapides en incidence rasante). Le tableau suggère que GIFAD trouve naturellement sa place dans la panoplie des techniques de diffraction utilisées pour la science des surfaces. La diffraction de rayons-X en incidence rasante, bien que faisant partie de cette panoplie, est hélas confinée auprès des centres de rayonnement synchrotron, les seuls capables de fournir les hautes intensités nécessaires.

A la différence des rayons X ou des électrons, les atomes ne peuvent s’approcher très près des noyaux atomiques. La diffusion sur la surface d’un solide est décrite par le potentiel d’interaction (Born Oppenheimer), lequel contient les processus physiques et physico-chimiques susceptibles d’intervenir lors de cette interaction. Dans le cas d’une surface cristalline, les surfaces équipotentielles correspondent aux images de type boîte à œufs popularisées par les nouvelles techniques de microscopie à champs proche (STM, AFM). Dans le cas d’un système non réactif, tel que par exemple un atome d’hélium diffusant sur une surface quelconque, ce potentiel est quasi-exclusivement déterminé par le principe de Pauli, c’est-à-dire la force de répulsion entre les électrons de l’atome et de la surface. En première approximation, cette force est proportionnelle à la densité électronique de la surface, l’hélium se comportant comme la pointe idéale d’un microscope.

Figure 1. La surface d’un cristal, en forme de boîte à œufs, est vue comme une tôle ondulée par un atome diffusé en incidence rasante. Les propriétés de diffusion et de diffraction sont principalement déterminées par la section de cette tôle ondulée.

Figure 1. La surface d’un cristal, en forme de boîte à œufs, est vue comme une tôle ondulée par un atome diffusé en incidence rasante. Les propriétés de diffusion et de diffraction sont principalement déterminées par la section de cette tôle ondulée.

La diffusion en incidence rasante, typiquement entre 1 et 2° par rapport au plan de la surface, est un régime singulier de la diffusion sur les surfaces. En effet, même pour une énergie incidente excédant le keV, l’énergie associée au mouvement normal à la surface peut-être aussi faible que 50 meV. Le mouvement parallèle à la surface est généralement si rapide que la structure dans cette direction est tout simplement moyennée ; de sorte que si le faisceau incident est parallèle à l’un des axes cristallographiques, la surface ne ressemble plus qu’à une simple tôle ondulée (figure 1). La section de cette tôle ondulée représente le potentiel moyen régissant la diffusion et la diffraction de la particule incidente.

Figure 2. Dans la vision classique, les atomes rebondissent comme des billes sur un point précis de la tôle ondulée et forme une image assez diffuse. Dans la vision quantique, c’est l’onde associée à l’atome qui, par la différence l des  chemins possibles menant à un même angle de diffusion, forme une image d’interférence. La position des pics d’intensité (pics de Bragg) est donnée par une relation analogue à la formule de Bragg décrivant la diffraction de Rayons-X. Expérimentalement on passe du régime classique au régime quantique en réduisant la divergence du faisceau d’atomes, on augmente ainsi sa cohérence spatiale.

Figure 2. Dans la vision classique, les atomes rebondissent comme des billes sur un point précis de la tôle ondulée et forme une image assez diffuse. Dans la vision quantique, c’est l’onde associée à l’atome qui, par la différence l des chemins possibles menant à un même angle de diffusion, forme une image d’interférence. La position des pics d’intensité (pics de Bragg) est donnée par une relation analogue à la formule de Bragg décrivant la diffraction de Rayons-X. Expérimentalement on passe du régime classique au régime quantique en réduisant la divergence du faisceau d’atomes, on augmente ainsi sa cohérence spatiale.

Dans une vision purement classique (physique des boules de billard), la diffusion d’une particule par un potentiel ondulé est schématisée en bas à gauche sur la figure 2. L’angle de diffusion dépend du point d’impact sur la courbe du potentiel ; en particulier, l’angle de déflexion maximum est atteint lorsque la particule « rebondit » sur la partie la plus abrupte du potentiel. La distribution angulaire des particules diffusées forme une image caractéristique en forme de banane. Cette vision classique est a priori tout à fait justifiée car aux énergies autour du keV, la longueur d’onde de Broglie est si faible (0.45 pm pour un atome d’hélium à 1 keV) que les vibrations thermiques du réseau d’atomes, d’amplitude plus de 20 fois plus élevée, devraient empêcher tout comportement cohérent. Pour cette raison, nul n’avait imaginé pouvoir observer un quelconque comportement quantique, jusqu’à ce que l’évidence expérimentale ne démontre le contraire. En effet, pour un faisceau de particule très fin et quasi-parallèle, l’image de diffusion montre un certain nombre de pics d’interférences provenant de l’onde associée à la particule incidente (à droite sur la fig. 2).

Cette structure d’interférences fournit la périodicité du réseau (paramètre de maille) à travers la séparation des pics mais également la forme du potentiel d’interaction par l’analyse de l’intensité relative des pics de Bragg. En première approximation, cette dernière information correspond au profil de densité des électrons de valence, elle peut alors se comparer aux données obtenues en microscopie à force atomique (AFM).

GIFAD : une technique alternative pour le contrôle de croissance de couches minces

Nous avons validé la technique GIFAD sur tous les types de matériaux : isolants, semi-conducteurs et métaux (figure3). En particulier les résultats obtenus sur le semi-conducteur ZnSe(001), en collaboration avec le groupe de Victor Etgens à l’Institut des NanoSciences de Paris (INSP), démontrent que GIFAD donne directement accès à des informations (telles que le transfert d’électrons entre les atomes de la surface) inaccessibles aux techniques basées sur la diffraction d’électrons. Un brevet portant sur un procédé et dispositif de caractérisation de surface a été déposé. Au-delà des applications dans l’étude des surfaces en général, une niche particulièrement attrayante est le suivi en temps réel dans les systèmes d’épitaxie de la croissance de matériaux complexes (multicouches de semi-conducteurs, oxydes, matériaux organiques, etc.) pour la recherche mais aussi pour la production industrielle de composants en microélectronique et optoélectronique.

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Figure 3. La validation de GIFAD sur les trois type de matériau en fait potentiellement une technique universelle.

En effet, la grande majorité des bâtis d’épitaxie vendus dans le monde est équipée d’un canon RHEED. Or les défauts inhérents aux électrons de haute énergie (pénétration sous la surface, chargement des isolants, dégâts causés aux matériaux fragiles) tendent à devenir rédhibitoires au regard de la réduction continue de la taille des dispositifs en microélectronique ainsi que du rôle croissant dévolu aux matériaux isolants et aux couches organiques.

Notre projet est d’offrir une alternative sérieuse et compétitive à la technique reine qu’est le RHEED. Bien que cet outil soit devenu très populaire dans ce domaine, il apparaît parfois comme un choix par défaut. En effet, parmi les techniques de diffraction sensibles à la surface, cette technique est la seule à réunir les conditions requises pour les machines de croissance : un faible encombrement autour de l’échantillon laissant la surface exposée aux flux moléculaires ; un enregistrement rapide des images de diffraction, permettant de suivre des taux de croissance de l’ordre d’une couche par seconde ; enfin une simplicité de mise en œuvre.

Même si GIFAD est forcément plus délicat à mettre en ouvre, elle permet en revanche de palier à plusieurs défauts du RHEED. Elle donne un accès exclusif à la première couche de la surface, ce qui est primordial si l’on veut mieux contrôler la première phase de l’épitaxie et elle fournit une information quantitative bien plus fine que le simple paramètre de maille. Par ailleurs, les développements récents de l’électronique de spin mais aussi la quête de matériaux à forte permittivité susceptibles de remplacer le SiO2 dans les microcomposants, imposent de maîtriser la croissance de couches minces d’oxydes et autres matériaux isolants. Dans ce contexte, la neutralité électrique de l’atome sonde ainsi que le caractère non invasif de l’intéraction font de GIFAD la méthode de choix pour l’étude de ces nouveaux matériaux.

Un premier prototype de GIFAD est actuellement en construction. Il sera très prochainement monté sur un bâti d’épitaxie par jets moléculaires spécialement conçu pour accueillir simultanément les outils GIFAD et RHEED. Toujours en collaboration avec l’équipe de l’INSP, il s’agira de valider GIFAD dans des conditions réelles de croissance et démontrer sur le plan scientifique ces atouts par rapport au RHEED.

Hocine Khemliche

Contact

Hocine KHEMLICHE
Laboratoire des Collisions Atomiques et Moléculaires, Université Paris-Sud 11
Tél :  01 69 15 44 82
Fax : 01 69 15 76 71
hocine.khemliche@u-psud.fr

Philippe RONCIN
Laboratoire des Collisions Atomiques et Moléculaires, Université Paris-Sud 11
Tél :  01 69 15 44 82
Fax : 01 69 15 76 71
philippe.roncin@u-psud.fr


Hocine Khemliche, Patrick Rousseau, Philippe Roncin et Victor Etgens ont reçu le premier prix de la valorisation 2008, pour cette « nouvelle technique de diffraction pour l’analyse des surfaces et le contrôle en temps réel de croissance de couches minces ».

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