De la symétrie florale

La fleur, cette structure chatoyante et éphémère qui enchante nos jardins, les prairies et les sous-bois, est en réalité une structure complexe qui sert à qualifier le groupe de plantes (angiospermes ou « plantes à fleur ») qui constitue 90 % de la biodiversité végétale terrestre actuelle !

Cette « innovation clef » a certainement contribué de façon significative à l’immense succès rencontré par les angiospermes, dont aujourd’hui encore, l’émergence et la diversification rapide restent l’« abominable mystère » souligné par Darwin il y a maintenant un siècle et demi. L’origine de la diversité des fleurs est probablement liée à la co-évolution avec les pollinisateurs et à la diversification des stratégies mises en œuvre par les plantes pour assurer leur reproduction.

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Exemples de fleurs à symétrie radiale (A-B) et bilatérale (C-D), pris chez les Renonculacées. A et B : vues de profil et de face, respectivement de Nigelladamascena; C et D : vues de profil et de face, respectivement de AconitumNapellus. Photos Florian Jabbour.© DR

Une fleur typique comporte, du centre vers la périphérie, les organes femelles (pistil) et mâles (étamines), les pétales et les sépales, disposés en cercles concentriques portés par un axe court ou réceptacle. Grâce aux travaux menés sur la génétique du développement floral de l’arabette des dames et de la gueule de loup, les gènes et les interactions géniques qui interviennent dans l’identité des différents organes commencent à être bien connus. En revanche, on en sait encore assez peu sur le contrôle génétique et l’origine de la diversité d’autres caractéristiques de la fleur, telle la taille ou la forme des organes. Une caractéristique particulière qui joue probablement un rôle dans l’interaction avec les pollinisateurs, fait actuellement l’objet de travaux en nombre croissant : la symétrie. On définit deux grands types de symétrie : la symétrie radiale (tous les organes d’un même type sont identiques et distribués de manière homogène autour du réceptacle), et la symétrie bilatérale, où un plan, le plus souvent vertical, sépare la fleur en deux moitiés, image l’une de l’autre dans un miroir (Figure). Les travaux menés par le groupe d’E. Coen (John Innes Centre, Norwich) sur la gueule de loup ont permis d’identifier quatre gènes dont les interactions contrôlent la symétrie bilatérale de la fleur, par différenciation dorso-ventrale des pièces florales. Les homologues de deux de ces gènes, qui appartiennent à une même famille de facteurs de transcription (gènes Cycloidea-like ou Cyc-like), sont recherchés dans plusieurs familles botaniques. En 2006, l’équipe de Da Luo (Institute of Plant Physiology and Ecology, Shanghai) a montré que de tels gènes régissaient la différenciation dorso-ventrale de la fleur du lotier, une espèce de la famille du haricot. Or la symétrie bilatérale de la fleur de gueule de loup et celle du lotier ne sont pas homologues, c’est-à-dire qu’elles sont apparues indépendamment au cours de l’évolution, dans deux groupes de plantes sans lien de parenté direct. Il est donc surprenant de constater que des gènes homologues interviennent dans la réalisation d’architectures florales semblables mais non homologues ! Ce résultat s’est depuis trouvé conforté par des travaux réalisés dans d’autres familles botaniques.

Pour mieux comprendre l’évolution des différentes occurrences de la symétrie bilatérale chez les angiospermes, nous avons entrepris d’analyser l’évolution de différentes caractéristiques de la fleur en regard de la symétrie. Ainsi, nous avons montré que la présence d’un éperon unique est généralement corollaire de la symétrie bilatérale chez les Ranunculales, un groupe relativement ancien, et que la présence d’étamines nombreuses est une contrainte très forte contre l’apparition de la symétrie bilatérale chez les Astéridées (un groupe majeur d’origine récente) mais pas chez les Ranunculales. Ceci souligne la disparité des stratégies évolutives vers la symétrie bilatérale. En parallèle, nous recherchons des gènes Cyc-like au sein des Ranunculales, avec un intérêt particulier pour les familles comportant des espèces à symétrie bilatérale, pour répondre à deux questions : quelle est l’histoire évolutive des gènes Cyc-like, et interviennent-ils aussi dans la symétrie bilatérale de ces espèces ? Nos premiers résultats indiquent la présence de plusieurs copies de ces gènes. L’analyse détaillée de leur expression au cours du développement de la fleur est en cours, et permettra d’apprécier leur rôle dans la symétrie. Quoi qu’il en soit, une question passionnante qui reste à élucider est celle des propriétés qui ont permis le recrutement répété de ces gènes Cyc-like pour des architectures semblables mais non homologues.

Catherine Damerval*, Sophie Nadot**
* UMR de Génétique Végétale, CNRS, Université de Paris-Sud 11
** Laboratoire Ecologie, Systématique, Evolution, Université de Paris-Sud 11

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