La diversité microbienne

L’une des premières et des plus importantes applications de la phylogénie moléculaire, discipline qui exploite l’information évolutive accumulée dans la séquence des acides nucléiques et des protéines pour établir des relations de parenté entre organismes, a été la reconstruction inédite d’un arbre universel du vivant qui incorporait des microorganismes procaryotes et eucaryotes, des champignons, des animaux et des plantes tout en comparant un même caractère.

On doit cette première à l’américain Carl R. Woese qui choisit la molécule d’ARN de la petite sous-unité du ribosome (SSU rRNA) pour s’attaquer à un problème que l’on croyait sans issue à l’époque – on parle des années 1970s – : l’établissement d’une classification naturelle, c’est à dire phylogénétique, des bactéries. Jusque là, les bactéries étaient classées selon une taxonomie dite numérique qui s’appuyait sur un certain nombre de caractères, dont la morphologie et des propriétés métaboliques, qui malheureusement n’avaient pas de valeur phylogénétique. La morphologie des procaryotes est trop peu variable et des bactéries très éloignées phylogénétiquement peuvent avoir des propriétés physiologiques semblables. L’idée de Woese d’appliquer la phylogénie moléculaire aux bactéries a initié une série des révolutions au sein de la microbiologie et de la biologie évolutive qui sont loin d’être estompées aujourd’hui. Non seulement il a pu démontrer qu’une classification phylogénétique est possible pour les procaryotes et qu’on peut, de surplus, les incorporer à un arbre phylogénétique du vivant mais, en ce faisant, il a découvert les archées (Archaea), des procaryotes aussi éloignés des bactéries que des eucaryotes. L’arbre du vivant a donc trois branches : bactéries, archées et eucaryotes (Figure).

DNA Strands

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Si, au cours des trente dernières années, avec l’accumulation massive dans les banques de données des séquences des gènes des SSU rRNAs (plusieurs centaines de milliers actuellement), des gènes des protéines et des génomes complets, ont validé cette division tripartite du monde vivant, ils ont aussi engendré d’autres bouleversements. Le plus important est la découverte d’une diversité  totalement insoupçonnée au sein du monde microbien en utilisant des méthodes moléculaires basées sur l’amplification, le clonage et le séquençage des gènes des SSU rRNAs directement à partir des échantillons naturels. On est, à ce jour, incapable de produire une estimation sérieuse du nombre d’espèces microbiennes existantes (chaque nouvelle étude révèle toujours une poignée des nouvelles séquences plus ou moins distantes de celles connues). Plus encore, chez les procaryotes, la majorité des grandes lignées (phylums) n’ont pas de représentants cultivés au laboratoire et correspondent à des « Divisions Candidates ». Quant aux eucaryotes unicellulaires ou protistes, peu de grands groupes nouveaux ont finalement été mis en par rapport à ceux décrits classiquement (amibes, choanoflagellés, ciliés, dinoflagellés, radiolaires, foraminifères, diatomées, algues vertes, rouges, brunes, etc). Pour autant, leur diversité au sein de ces groupes apparaît très loin d’être explorée. Il semblerait que le nombre d’espèces cryptiques, morphologiquement similaires mais génétiquement distinctes, soit bien plus élevé que ne le laissaient entendre les études classiques.

La découverte d’une telle étendue de la biodiversité microbienne pose de nombreuses questions. Quel est son rôle dans l’écosystème ? Quels sont les métabolismes des lignées non cultivées, y a-t-il des nouvelles façons d’obtenir de l’énergie et de fixer le carbone à découvrir ? Comment évoluent les microorganismes dans l’environnement ? Qu’est-ce qu’une espèce procaryote ? Quel est l’impact du transfert horizontal de gènes dans l’évolution microbienne ? Existe-t-il une biogéographie pour les microorganismes comme pour les animaux ou les plantes alors que leur dispersion ne semble pas limitée ? Pourra-t-on résoudre un jour l’ordre d’émergence relative des différents groupes eucaryotes et bactériens, aujourd’hui perçus comme des radiations ? Certaines de ces questions pourront être abordées à l’appui des approches métagénomiques qui se développent actuellement et qui permettent d’avoir accès aux gènes et aux génomes des organismes non cultivés. D’autres, à l’appui des études phylogénomiques qui incorporent des informations des lignées mieux reparties dans l’arbre du vivant. D’autres encore devront attendre des approches plus intégratives qui commencent à émerger. La microbiologie et son impact sur notre compréhension de l’arbre du vivant sont en pleine (r)évolution.

Purificación López-García et David Moreira, Unité d’Ecologie, Systématique et Evolution, UMR CNRS 8079, Université Paris-Sud 11

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