Plastic Genome

Le génome de nombreuses espèces, notamment eucaryotes, n’est pas uniquement composé de gènes comme on a pu le croire au début du 20ème siècle.  Pour bon nombre d’entre eux, la proportion du génome correspondant à des gènes est relativement restreinte.

Elle est, par exemple, de 3% chez l’homme. Chez les plantes, cette proportion peut être bien plus faible. Parmi, la partie non-génique des génomes, on trouve en particulier des séquences mobiles capables de se multiplier.  Ces séquences sont connues sous le nom d’éléments transposables. Leur existence a été supposée dans les années 1940 par Barbara McClintock à partir de ses travaux sur les chromosomes du maïs. Actuellement, ils ont été détectés dans tous les organismes vivants, à de rares exceptions près, et peuvent représenter de 1 à 2% des génomes chez les procaryotes, et de 3 à 90% chez les eucaryotes. Par exemple, chez l’homme, ils correspondent à 45% du génome. La mobilité de ces séquences peut avoir plusieurs conséquences sur la structure des génomes telles que la genèse d’inversions chromosomiques, de délétions et de translocations. Ils peuvent également altérer le fonctionnement du génome suite à leur insertion dans un gène ou dans les régions qui régulent l’activité du gène. Dans ce dernier cas, le profil d’expression du gène peut être modifié. Tout ceci contribue à la plasticité du génome.

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Drosophiles ayant des yeux mosaïques. Les différences de couleurs sont dues aux mouvements d’un élément transposable, appelé mariner, en lignée somatique. Ici, la couleur pêche est le résultat de l’insertion de l’élément dans le gène white et la couleur rouge, a son excision au cours du développement de l’œil.© DR

Un paradoxe intéressant est l’abondance de ces séquences dans les génomes malgré l’effet délétère de leur mobilité. En effet, à l’échelle de l’individu, la mobilité d’une de ces séquences peut être néfaste. Ainsi chez la drosophile, il est estimé que 80% des mutations sont le résultat de la mobilité d’éléments transposables. Par exemple, le changement de pigmentation de l’œil est généralement due à une insertion d’une de ces séquences dans ou à proximité d’un gène (le gène white).  Le caractère « ridé » des petits pois de Gregor Mendel est également le résultat de ce type de phénomène.  Chez l’homme, l’élément transposable le plus fréquent est une séquence de 400 à 500 paires de bases, appelée Alu. Elle est présente à plus de 1 millions de copies dans le génome.  Elle est à l’origine de plusieurs maladies telles que des cancers du sein, des hémophilies B.

Malgré cet impact négatif sur les individus, on peut se demander pourquoi on retrouve ces séquences chez quasiment toutes les espèces. Il faut chercher la réponse à cette question au niveau de la population voire de l’espèce. En effet, de part leur mobilité, elles génèrent des mutations. Si la majeure partie de ces mutations sont délétères, quelques unes peuvent conférer un avantage sélectif et peuvent favoriser une meilleure adaptation de leur porteur à l’environnement du moment. Ainsi, plusieurs cas ont été décrits. Ces cas correspondent soit à un effet direct des éléments transposables, soit à une récupération par le génome d’une de leurs caractéristiques (il s’agit alors d’une exaptation). Par exemple, le système immunitaire des vertébrés [V(D)J)] dérive d’un élément transposable appelé transib. Chez la drosophile, les extrémités des chromosomes sont protégées de l’érosion qui survient au cours des réplications successives, par ces séquences. Chez cette même espèce, l’insertion d’un élément appelé Doc, dans la région régulatrice d’un gène (Cyp6) permet aux individus de mieux résister aux insecticides. Dans ce contexte, nous avons entrepris de développer des modèles théoriques d’évolution de ces séquences au sein des génomes. Un des résultats surprenant est que la dynamique de ces séquences ressemble à celles des espèces dans un écosystème. Ceci suggère fortement que les modèles développés en biologie et génétique des populations pourraient s’appliquer à la dynamique de séquences au sein d’un génome, ce dernier étant considéré comme un écosystème.

Existe-t-il une relation entre le stress subi par une population et la mobilisation des éléments transposables ? En effet, dans beaucoup de génomes, ces séquences sont souvent « silencieuses ». C’est-à-dire qu’elles ne bougent pas. En d’autres termes, elles ne sont pas actives. Cependant, de plus en plus de résultats suggèrent qu’elles peuvent être « réveillées » suite à un stress. Dans l’équipe, nous travaillons actuellement sur l’hypothèse qu’un stress pourrait activer des éléments transposables et ainsi générer de la variabilité à l’échelle de la population. Cette variabilité nouvellement générée, pourrait accélérer la vitesse d’adaptation de l’espèce à ce stress.

Aurélie Hua-Van et Pierre Capy, Laboratoire Evolution, Génomes et Spéciation, CNRS – Université Paris-Sud 11

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