L’enseignement de l’évolution : la route est droite, mais la pente est raide

Afin d’évaluer les connaissances sur l’évolution des étudiants de L1 en biologie à Orsay avant notre cours intitulé « Diversité du monde vivant et évolution », nous leur demandons de répondre, de manière anonyme, à un questionnaire comportant une vingtaine de questions. Cette enquête a été menée 3 années de suite (en 2005 6, 2006 7 et 2007 8), et en 2007-8 les étudiants de PCEM ont également été consultés. Au total nous avons recueilli à ce jour 1134 réponses. Nous n’avons pas la place ici pour commenter les résultats de toutes les rubriques, aussi nous contenterons-nous de donner les conclusions qui nous semblent les plus marquantes.

Dans le contexte actuel d’offensive des créationnistes (1), on pourrait trouver encourageant qu’à peine plus de 2 % des étudiants pensent que l’évolution biologique « est une théorie qui a été réfutée », et que seulement 4 % considèrent que « les espèces vivantes sont apparues une fois pour toutes ». Cependant pour 32 % d’entre eux l’évolution n’est qu’une hypothèse et non pas un fait établi, 5 % étant sans opinion. Curieusement, les étudiants en médecine se démarquent négativement, puisque 6 % d’entre eux la réfutent, les autres se répartissant également entre les sceptiques et ceux qui l’admettent.

D’autres réponses montrent que l’adhésion à l’idée d’évolution ne protège pas de préjugés bien ancrés. Ainsi près de 20 % affirment que « l’évolution se déroule selon un plan pré-établi », et plus de 36 % ne pensent pas que « l’apparition de la vie sur terre résulte uniquement de processus physico-chimiques » On a là des points de vue proches des thèses de l’Intelligent design (2). Il y a aussi des résistances intéressantes dès que l’on aborde l’espèce humaine. Près de 12 % refusent de placer l’homme dans le règne animal, plus de 9 % récusent que toutes les espèces vivantes connues (« des micro-organismes à l’homme ») aient un ancêtre commun, et près de 12 % ne conçoivent pas que plusieurs espèces d’hommes aient pu co-exister.

Enfin la croyance en l’hérédité des caractères acquis reste étonnamment présente. A la question « pour respecter les standards de leur race, on modifie artificiellement l’apparence de certains chiens en leur taillant les oreilles et/ou la queue. Ces modifications vont-elles progressivement devenir héréditaires ? », plus de 16 % des étudiants ont répondu oui. Aurions-nous eu le même taux en prenant le cas de la circoncision ?…

La très grande majorité des étudiants ont un baccalauréat scientifique. Le questionnaire est distribué après 3 à 6 mois de cours de biologie, pendant lesquels les références à l’évolution sont très fréquentes, car inévitables. Nous n’attendions donc pas ces résultats. On n’ose imaginer les réponses à une telle enquête auprès d’un public plus large, non scientifique. Sommes-nous si sûrs que des groupes activistes prônant, comme aux Etats-Unis, l’enseignement du créationnisme, ne rencontreraient aucun écho dans notre pays ?

Deux cents ans après la Philosophie zoologique de Lamarck, et 150 ans après L’Origine des espèces de Darwin, l’évolution biologique reste une idée difficile à admettre car elle heurte des convictions profondes et égratigne notre amour-propre… Elle est pourtant essentielle pour appréhender la « logique du vivant », et à ce titre devrait avoir une place centrale dans l’enseignement.

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cynthiacetus © Bernard Faye/MNHN

Dominique de Vienne et Pierre Capy, Professeurs à l’Université Paris-Sud 11

1 Le créationnisme est fondé sur la croyance selon laquelle la terre et toutes les espèces qui la peuplent, dont l’espèce humaine, ont  été créées par Dieu. Le créationnisme s’appuie sur une lecture littérale des textes sacrés des religions monothéistes.
2 L’intelligent design (ou « dessein intelligent ») est une sorte de créationnisme adouci, qui avance masqué sous les traits d’une théorie scientifique. Il postule qu’un certain nombre de caractéristiques de l’univers et du monde vivant sont mieux expliquées par le recours à une cause intelligente extérieure que par le processus aléatoire, non dirigé, de la sélection naturelle.

3 commentaires pour “L’enseignement de l’évolution : la route est droite, mais la pente est raide”

  1. affligeant en effet … mais félicitations pour votre étude, ô combien informative.

    mais … prévisible cependant avec des programmes lourds privilégiant l’encyclopédisme au détriment des liens, des recoupements et des analyses avec mise en avant de la preuve expérimentale au détriment de celles par confirmation.

  2. Sur la problématique du créationnisme en France, nous avons publié le livre “Les créationnismes : une menace pour la société française ?”
    (Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau, Syllepse, 2008).
    Depuis peu, nous disposons d’un site internet pour présenter nos travaux (livre, articles, conférences…) :
    http://tazius.fr/les-creationnismes/
    Vous y trouverez, entre autres choses, un intéressant documentaire de la télévision belge diffusé depuis le mois d’avril et intitulé « Le créationnisme : un danger pour nos écoles ? ».

  3. Et j’ai oublié de dire merci pour cet intéressant article. Ce type de questionnaire mériterait d’être étendu à d’autres universités.