Pavé de bonnes intentions

Nous avons tous déjà vu des pavages, que nous ayons eu la chance de visiter l’Alhambra à Grenade ou que nous devions nous contenter du carrelage de notre salle de bain. Si ce fin travail d’assemblage de pièces de formes géométriques simples a stimulé la création artistique et artisanale, il recouvre également un champ de recherches géométriques extrêmement riche. François Labourie, chercheur de l’équipe  Topologie et Dynamique du Laboratoire de mathématiques d’Orsay, s’intéresse à certains de ces pavages aux propriétés dynamiques et géométriques bien particulières.

p27_pavages3Il suffit d’avoir un jour refait le carrelage de sa salle de bain pour en comprendre la difficulté. Le pavage d’une surface consiste à la recouvrir, sans trou ni recouvrement, avec un nombre fini de carreaux. Activité fastidieuse pour les uns, le pavage a été élevé au rang d’art majeur par d’autres comme le peintre hollandais M.C. Escher. Pour les mathématiciens, le terme pavage recouvre un champ de recherches géométriques très actif dont le principal intérêt est de se trouver au confluent de nombreux domaines mathématiques : théorie des groupes discrets, théorie des nombres, probabilités, algorithmique, systèmes dynamiques, analyse.

L’art du pavage

Reprenons notre analogie avec le carrelage de notre salle de bain. L’assemblage des carreaux fait en réalité appel à un nombre limité de transformations géométriques simples : translations, rotations et réflexions. Le pavage le plus simple à réaliser est un pavage régulier avec des carreaux ou tuiles de forme géométrique classique : triangle équilatéral, carré, hexagone… L’approche mathématique systématique des pavages a trouvé son essor avec les travaux de la cristallographie naissante au XIXe siècle. La répartition des atomes d’un cristal est en effet comparable à un pavage également réparti dans l’espace à partir d’un motif géométrique élémentaire (la maille) dont les sommets sont des atomes. Mathématiciens et cristallographes ont alors cherché à classer les pavages périodiques, en fonction de leur groupe dit «de symétrie». Et en 1891, le cristallographe et mathématicien russe Fedorov a montré qu’il n’existait en fait que 17 groupes de symétrie, soit 17 types de pavages périodiques du plan, deux pavages étant de même type s’ils sont invariants par la même succession de rotations, symétries axiales et translations. Dix sept possibilités seulement, voilà qui aurait pu sonner le glas de l’intérêt des mathématiciens pour les pavages du plan. Il n’en fut rien car si cette restriction s’applique dans un plan euclidien, elle n’est plus du tout valable dans un plan hyperbolique !

Sur le plan hyperbolique

La géométrie euclidienne est fondée sur cinq règles de base, cinq postulats énoncés par le mathématicien grec Euclide (IIIe siècle av. JC), auxquels selon lui, devait obéir la géométrie du plan. Le cinquième postulat, également connu sous le nom d’axiome des parallèles, établi que : «par un point extérieur à une droite D, il passe une droite unique (nommée parallèle) qui ne coupe pas D». Peut-on imaginer une géométrie où tous les axiomes seraient satisfaits, sauf ce cinquième ? Cette question a préoccupé de nombreuses générations de mathématiciens jusqu’à ce qu’elle trouve une réponse au début du 19ème siècle. Trois chercheurs Lobachevsky, Bolay et Gauss ont prouvé, chacun de leur coté, que c’était possible. Ils ont postulé l’existence de plusieurs parallèles possibles, obtenant ainsi un univers géométrique passionnant et cohérent : la géométrie hyperbolique. Parmi les nombreuses propriétés de ce nouveau plan, l’une d’entre elles va s’avérer précieuse pour le domaine des pavages : contrairement à sa consœur euclidienne, la géométrie hyperbolique autorise un assortiment extraordinairement riche de pavages. Par contraste avec les 17 pavages symétriques possibles du plan euclidien, le plan hyperbolique a une réserve infinie de pavages différents. Depuis les années 40, la théorie de Teichmüller, du nom du mathématicien allemand en posa les premières bases, étudie l’espace de tous ces pavages possibles. Alors que les pavages euclidiens sont associés aux tores–pensez à un foulard dont on coud les côtés–les pavages hyperboliques sont associées à des surfaces à la complexité arbitraire. Plus étonnant encore, ces surfaces sont caractérisées par des vibrations, sortes de «spectres» liés à la fréquence de leurs correspondances dynamiques ou arithmétiques. Développée depuis cinquante ans, cette théorie n’a pas encore livré tous ses secrets. C’est notamment aux pavages d’espaces «hyperboliques» à plusieurs dimensions, mais toujours décrits par des surfaces, que s’intéresse François Labourie. Son objectif : comprendre ces pavages, vu de loin, vu de l’infini, comprendre leurs modes de vibration, étudier la statistique de tous leurs points à l’infini, leur répartition ou encore s’intéresser à l’espace de tous les pavages donnés, à son éventuel volume… Chacune des réponses à ses questions pourrait alors permettre d’étendre le dictionnaire entre divers domaines mathématiques construit depuis cinquante ans autour de la théorie de Teichmüller.

Contact

UFR Sciences

François Labourie

Laboratoire de mathématiques d’Orsay

francois.labourie@math.u-psud.fr

Tel : 01 69 15 57 67

Deux lauréats de l’ERC Advanced Grant

Le 14 janvier, le Conseil européen de la recherche a annoncé la liste des lauréats de son deuxième appel à « Advanced Grants ». Parmi les 236 chercheurs sélectionnés, Patrick Couvreur et François Labourie, ont été retenus. Patrick Couvreur s’est vu octroyer une subvention de plus de 2 millions d’euros pour son projet original sur la découverte de nouveaux nanomédicaments. François Labourie, a obtenu une subvention de 1,5 millions d’euros pour son projet sur l’étude des symétries des groupes de surfaces en grande dimension.

Premier organisme de financement européen depuis 2007, le Conseil Européen de la Recherche (European Research Council – ERC) a pour objectif de soutenir l’excellence et le dynamisme de la recherche en Europe. Ses activités font partie du 7ème programme cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRDT). L’ERC Advanced Grant est une bourse récompensant des chercheurs confirmés qui se sont imposés comme des références dans leur propre domaine. Pour cela, ils doivent s’être illustrés par la réalisation d’importants travaux de recherche au cours des 10 dernières années et s’être distingués par l’originalité de leur approche et l’importance de leurs contributions à la recherche. Le porteur de projet doit dédier au moins un tiers de son temps au projet ERC. Le dossier, quant à lui, doit démontrer l’excellence du chercheur et souligner l’aspect novateur du projet de recherche proposé. Le projet doit être ambitieux et créatif par rapport aux avancées scientifiques envisagées et aux approches proposées, en utilisant des méthodes non conventionnelles et éventuellement des développements interdisciplinaires. Pour l’édition 2009 de l’ERC Advanced Grant, parmi plus de 1500 soumissions émanant d’organismes de recherche ou d’universités européens, 236 ont été sélectionnés, parmi lesquels 34 français, plaçant ainsi la France en deuxième position derrière le Royaume-Uni. Les projets de Patrick Couvreur et de François Labourie ont été retenus pour leur caractère original et pionnier dans les domaines du médicament et des mathématiques.

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