Statistiques et changement climatique : pas de nuage sur le front de la collaboration

La Terre se réchauffe-t-elle ? L’homme est-il vraiment responsable du changement climatique ? Pour répondre à ces questions cruciales, il faut absolument améliorer les modèles climatiques disponibles. Les statisticiens peuvent et doivent y contribuer. Tel était l’une des conclusions des journées thématiques «statistiques et changement climatique» organisées en janvier dernier par l’équipe  «statistique et probabilité» du Laboratoire de mathématiques de l’Université Paris-Sud.

p20&21_climatVents violents, forte marée, pluies diluviennes et crues de rivières, la tempête Xynthia s’est abattue sur la France les 27 et 28 février derniers. Comme pour 1999, comme pour la canicule de 2003, il s’agit de ce que les climatologues appellent un événement extrême. La  fréquence apparemment croissante des catastrophes d’origine climatique – inondations, sécheresses, tempêtes, cyclones, gelées, etc. – observées depuis quelques années dans le monde entier est une source d’inquiétude et est devenue  partie d’un enjeu politique plus global : pourquoi le climat est-il en train de changer et quelles formes prend ce changement ? Des analyses scientifiques, il ressort qu’il  y a bien une tendance au réchauffement global, surtout depuis le milieu du XXe siècle.  Ce réchauffement est il susceptible d’augmenter la fréquence et la gravité de certaines catastrophes ? Les climatologues manquent encore d’outils (et de statisticiens !)  pour analyser ces phénomènes. Les modèles numériques traduisant les lois de la physique représentent mal ces phénomènes souvent localisés. Les méthodes statistiques sophistiquées permettent d’attaquer le problème. Au laboratoire de mathématiques d’Orsay, des chercheurs de l’équipe probabilités et statistiques s’intéressent justement à la mise en Å“uvre des techniques de l’aléatoire pour analyser les observations et leur collaboration avec les climatologues ne date pas d’hier. A l’occasion de la soutenance de thèse d’une jeune chercheuse de l’équipe, Didier Dacunha-Castelle et ses collègues du CEA-CNRS et d’EDF ont rassemblé les deux communautés, statisticiens et climatologues, lors de deux journées thématiques centrées sur les méthodes statistiques requises pour étudier le changement climatique.

L’apport des statistiques

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la rencontre des statisticiens et des climatologues est un phénomène relativement récent. Il faut dire que la statistique est une discipline scientifique assez jeune éloignée de la culture de beaucoup de physiciens. Elle est restée longtemps cantonnée au champ économique, la statistique «d’état». Elle joue  à partir des années 40 un rôle important dans l’agriculture, la production industrielle, le traitement du signal, par exemple. C’est avant tout l’essor de la puissance de calcul des ordinateurs qui va lui permettre d’exploser en tant que  discipline mathématique inséparable de la théorie des probabilités et porteuse de concepts et d’applications chaque jour plus importants. Les biologistes après les économistes s’en sont aujourd’hui emparés pour traiter par exemple les masses de données fournies par les techniques modernes de la génétique. L’imagerie aussi bien médicale que satellitaire (et là on rejoint le climat) utilise un éventail de concepts de la statistique mathématique. Des masses de données d’observation, gigantesques, à analyser, telle est bien justement la problématique du climat. Le climat de la Terre est le résultat d’interactions complexes entre de nombreux processus faisant intervenir l’atmosphère, l’océan et les surfaces continentales. Durant les années 60, les climatologues ont mis au point les premiers modèles de climat, des modèles physiques déterministes, qui ne font pas appel aux représentations probabilistes de l’incertitude, rendant nombre de résultats sur  la variabilité souvent insuffisants et peu en accord avec les observations. Une situation qui est en train d’évoluer car la statistique mathématique est amenée à être de plus en plus appelée à la rescousse. Son rôle : juger de la qualité des modèles en confrontant leurs résultats à ceux des observations. Mais le problème est complexe, en raison notamment de la vaste palette des échelles spatiales et temporelles utilisées. Beaucoup reste à faire.

A propos des statistiques et de la sécurité des installations industrielles

p20&21_climat2Après la tempête de 1999 qui affecta une partie du réseau électrique, puis la canicule de 2003 qui fragilisa une partie du parc de production d’électricité français, les équipes R&D d’EDF impliquées, entre autre, dans l’étude de ces évènements extrêmes ont alors sollicité la collaboration des statisticiens de l’Université Paris-Sud. La thèse de Thi Thu Huong Hoang doctorante au laboratoire de mathématiques d’Orsay a ainsi été financée par EDF. Son sujet : l’étude de «séries chronologiques non stationnaires non linéaires. Le cas des séries de températures en Europe». La jeune chercheuse s’est intéressée à l’évolution conjointe de la moyenne et de la variabilité des températures et à la corrélation entre ces grandeurs et les mêmes quantités calculées pour les extrêmes. Parmi les différentes conclusions de son travail, Thi Thu Huong Hoang a montré qu’à partir des données disponibles actuellement pour l’Europe, l’évolution des températures extrêmes est très fortement liée surtout en été à l’évolution des températures moyennes et de leur variabilité, en d’autres termes rien ne permet de distinguer statistiquement, pour les températures extrêmes une tendance clairement différente de celle imprimée par les tendances de la moyenne et de la variabilité. Intéressante en soi, cette conclusion montre en outre que les modèles physiques ne rendent pas compte correctement des évolutions de la variabilité et des extrêmes. Il a fallu en passer par des techniques statistiques avancées pour en avoir le cœur net. Preuve s’il en est de la fertilité du dialogue entre climatologues utilisateurs de statistiques et mathématiciens intéressés par la climatologie. Mieux comprendre les phénomènes climatiques extrêmes, obtenir une évaluation objective et scientifique de la tendance de la moyenne et de la variabilité est un enjeu particulièrement sensible. Avancer dans cette direction est indispensable pour améliorer, si cela est possible, la valeur prédictive des modèles physiques. Les statistiques peuvent et doivent y contribuer. Elles sont, par excellence, l’instrument qui peut permettre d’extraire l’information pertinente des données d’observation et de passer d’une échelle spatiale à une autre !

Contact

Didier Dacunha-Castelle

UFR Sciences

Laboratoire de mathématiques d’Orsay

didier.dacunha-castelle@math.u-psud.fr

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