Conserver la capacité à fabriquer des espèces est primordial

Trois questions à…Pierre Capy, Directeur du Laboratoire Evolution, Génomes et Spéciation .

L’année 2010, déclarée Année internationale de la biodiversité par l’Unesco, illustre la place croissante de la préservation de la diversité biologique dans nos sociétés. Progressivement, la société prend conscience que la biodiversité représente bien plus que la liste des espèces remarquables ou menacées. De quoi parle-t-on exactement ? Faut-il être alarmiste ? Pour répondre à ces questions, nous nous sommes tournés vers Pierre Capy, Directeur du Laboratoire Evolution, Génomes et Spéciation et co-responsable scientifique du colloque pluridisciplinaire organisé par l’UFR Sciences sur le thème « Biodiversité : de la Molécule à l’Ecosystème ».

©DR

Le terme de biodiversité a été médiatisé lors du Sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro en 1992, et à l’issu duquel de nombreux Etats ont signé une Convention sur la diversité biologique. Mais l’opinion publique n’en a souvent retenu que l’aspect restrictif qui concerne uniquement la richesse ou la quantité des espèces vivantes. Le débat s’est donc focalisé sur la préservation des espèces menacées. Or s’il s’agit bien de l’un des aspects de la biodiversité, ce n’est pas le seul. Stricto sensu, le terme de biodiversité englobe tout ce qui concerne la variété et la diversité du monde vivant, donc non seulement la diversité des espèces mais également la diversité des génomes au sein d’une même espèce ainsi que la diversité et l’interaction entre les espèces au sein des écosystèmes, c’est-à-dire des lieux de vie d’un ensemble d’espèces. La biodiversité implique cet équilibre qui va du génome à l’écosystème en passant par l’espèce. Mais là aussi, on a parfois tendance à avoir une vision restrictive de la notion d’espèce. La définition biologique qui date du milieu du XXe siècle stipule que deux individus sont de la même espèce s’ils sont susceptibles de se reproduire ensemble et d’avoir une descendance viable et elle-même fertile. Mais cette définition ne convient qu’aux organismes à reproduction sexuée, excluant de fait de nombreuses espèces (comme par exemple les bactéries). C’est pourquoi, la Convention sur la biodiversité écologique du 5 juin 1992 a tenu à définir la biodiversité comme étant « la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ».

En déclarant 2010, Année internationale de la Biodiversité, l’Organisation des Nations Unies a voulu alerter les gouvernements et l’opinion publique sur l’état et les conséquences du  déclin de la biodiversité dans le monde. Y a-t-il vraiment péril en la demeure ?

Là encore, il faut préciser ce qui est en jeu. Ce qu’on constate effectivement, c’est une diminution relativement importante du nombre d’espèces au sein de certains groupes. On estime par exemple qu’environ 30% des espèces de palmiers sont en danger ; dans le règne animal, il semble que les oiseaux soient particulièrement touchés. Il est difficile cependant d’avoir une estimation précise car on est loin d’avoir recensé toutes les espèces vivantes. Un peu plus d’1,5 million a été répertoriée mais ce chiffre devrait vraisemblablement être multiplié par dix voire plus. Certains groupes comme les bactéries ou les archées sont encore très mal connus. Ce qui estcertain c’est que la biodiversité repose sur un équilibre précaire et que si l’on rompt cet équilibre, certaines espèces vont réussir à s’adapter et à s’en sortir tandis que d’autres n’y parviendront pas et vont disparaitre. Ceci dit, l’extinction fait partie de l’évolution, et toutes les espèces qui ont peuplé ou qui peuplent la Terre aujourd’hui, se sont éteintes ou s’éteindront un jour. Certains scientifiques vont même jusqu’à estimer que l’ensemble des espèces vivant actuellement sur Terre ne représente que 2 % de l’ensemble des espèces ayant vécu depuis l’apparition de la vie sur Terre ; ce qui signifie que 98 % d’entre elles se seraient éteintes. Plus sérieusement, on sait grâce à l’étude de traces fossiles que la Terre a déjà subi des crises importantes avec des extinctions massives d’espèces. Par exemple il y a 250 millions d’années, la transition entre le Permien au Trias, a été marquée par la disparition de près de 95 % des espèces marines et de 70 % des espèces terrestres. Donc finalement, la réponse à votre question n’est pas si simple. Il y a effectivement un danger actuellement, et le danger le plus grave serait de briser la capacité qu’ont les espèces à en fabriquer d’autres. A l’échelle de l’écosystème, l’équilibre est également fragile : l’introduction et l’extermination d’une seule espèce peut avoir des conséquences importantes sur la vie des autres espèces, car les interactions entre espèces sont importantes. La disparition d’une espèce peut entrainer celle d’une autre, voire de nombreuses autres.

Quel rôle les chercheurs peuvent-ils jouer ?

Je pense que la première des choses à faire, c’est d’apprendre à mieux connaitre les mécanismes qui ont permis l’émergence de cette biodiversité, ont favorisé son dynamisme et permis son maintien. C’est extrêmement important de comprendre cela car nous ne sommes pas dans un écosystème figé, bien au contraire. A mon avis ce qui est primordial c’est moins de sauvegarder telle ou telle espèce que de préserver la capacité d’évolution des espèces. Le drame, serait de casser la machine à fabriquer des espèces. Les interactions entre les espèces sont beaucoup plus complexes qu’il n’y parait. Comme je vous le disais, nous devons appréhender le problème dans sa globalité aussi bien au niveau génétique qu’au niveau des espèces et des écosystèmes. Nous venons ainsi de créer sur les campus d’Orsay et de Gif-sur-Yvette, un institut baptisé Diversité et Evolution du Vivant (IDEV), qui associe notamment quatre laboratoires de l’Université Paris-Sud et du CNRS de Gif-sur-Yvette travaillant sur ces sujets. Cet Institut qui a vu le jour le 1er janvier 2010 est unique en son genre car il balaye justement tous les aspects de la biodiversité, du génome aux écosystèmes et sur l ’ensemble des groupes de l’arbre du vivant. Je vous parle là des biologistes mais d’autres domaines apportent également leur contribution. Les données issues de travaux des climatologues sont également très importantes. En effet, il est évident que les changements climatiques ont un impact sur les déplacements géographiques des espèces. Par exemple, si les zones tempérées se réchauffent sensiblement, il n’est pas impossible d’y voir arriver des insectes vivant habituellement dans les zones tropicales. La présence du moustique responsable du Chikunguya a été constatée d’abord dans le sud de l’Italie, puis de plus en plus au nord, jusqu’à Marseille au mois d’avril dernier. Donc oui, les équilibres sont fragiles et il faut être vigilant, mais surtout privilégier la biologie des systèmes, ne plus concentrer ses efforts sur un aspect de la biodiversité mais avoir une vision la plus  globale possible. La sauvegarde de telle ou telle espèce a parfois une importance essentiellement symbolique, en revanche il est tout à fait primordial de préserver des assemblages d’espèces au sein d’écosystèmes ayant conservé leur capacité d’évolution. Cela nécessite d’avoir une vision la plus intégrative possible, ce qui n’est pas simple, mais c’est dans ce sens là que la recherche s’organise. La pluridisciplinarité des interventions lors du colloque que nous avons organisé à l’UFR de Sciences en est une bonne illustration.

“L’arbre de la vie est un buisson rond, une sphère, et toutes les espèces qui y vivent actuellement ont le même temps d’évolution, donc il n’y a pas d’espèce primitive, pas d’espèce supérieure : l’homme est un vertébré comme un autre, il a le même temps d’évolution qu’une bactérie”.

Propos recueillis par Gaëlle Degrez

Les commentaires sont ferms !