Le volcanisme et les grandes crises géologiques de la biodiversité

Les fossiles nous racontent l’histoire de la vie. Ils révèlent notamment l’existence de «crises» durant lesquelles de très nombreuses espèces disparaissent en un temps relativement court. Comment expliquer ces crises et, en particulier, quel rôle y joue le volcanisme ?

L’éruption du Mont Saint Helens en 1980 dans l’Etat de Washington est l’éruption volcanique la plus importante jamais enregistrée aux Etats-Unis dans les 48 Etats continentaux hors Alaska. © DR

On distingue schématiquement deux grands types de volcans. Les volcans explosifs projettent brutalement dans l’atmosphère d’immenses panaches de  cendres, de poussières et de gaz, tandis que les volcans effusifs, laissant échapper de grandes coulées de lave durant des périodes parfois très longues. Leurs effets sur le climat sont différents à court, moyen et long terme.

Quels effets, quelles conséquences ?

Le premier effet identifié fut celui des poussières projetées dans la troposphère (jusqu’à une dizaine de kilomètres d’altitude) qui font écran aux rayons du soleil, entrainant un léger refroidissement du climat. On sait aujourd’hui que cet effet est limité et de courtedurée. Des effets bien plus importants sont dus au dioxyde de soufre (SO2) libéré en grande quantité par les deux types de volcans. Lorsque celui-ci reste dans la troposphère, il contribue fortement à l’effet de serre, entrainant un réchauffement durant quelques mois. Mais quand il monte jusqu’à la stratosphère (projeté par une explosion particulièrement violente, ou par convection thermique au-dessus d’un volcan effusif), il réagit avec l’eau pour former de fines gouttelettes d’acide sulfurique. Ces aérosols réfléchissent la lumière du soleil et diminuent notablement la quantité de rayonnement qui atteint le sol, entrainant un refroidissement du climat qui peut durer une dizaine d’années. Sur des périodes encore plus longues, l’effet prépondérant est celui du dioxyde de carbone (CO2). Bien connu pour sa contribution à l’effet de serre, moins intense que celle du SO2 mais beaucoup plus durable, il provoque un réchauffement du climat à l’échelle de plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’années.

Eruptions historiques

Historiquement, la première éruption volcanique dont on observa les effets à grande distance fut celle du Krakatoa, en Indonésie, en 1883. Elle libéra environ 10 km3 de magma. Les poussières qu’elle envoya dans l’atmosphère causèrent des modifications atmosphériques jusqu’en Europe, notamment des couleurs inhabituelles au coucher du soleil. On estime aujourd’hui que la température chuta globalement de quelques dixièmes de degré. Bien que moins spectaculaires, les volcans effusifs ont en réalité des effets bien plus importants. En 1784, les «pulses» d’activité, c’est-à-dire les émissions brutales de gaz du Laki, en Islande, dégagèrent environ 15 km3 de lave au total, et des quantités considérables de SO2 dans l’atmosphère. Il en résultat un été 1784 chaud (effet de serre) suivi d’une baisse de température estimée à 3 °C pendant plusieurs années (aérosols). Les effets à longue distance de ces volcans historiques pourtant modestes laissent imaginer les bouleversements climatiques qu’ont pu entrainer, dans le passé, des phénomènes volcaniques autrement plus intenses. Les principaux témoins de ces événements sont d’immenses plateaux de roches basaltiques, les trapps, que l’on observe dans différentes régions du monde (figure). Ceux du Deccan, en Inde, aujourd’hui en partie érodés, devaient totaliser à l’origine 2 millions de km3 de lave. On peut déterminer la durée de leur formation grâce au paléomagnétisme : les différentes couches de roches enregistrent le champ magnétique qui règne au moment de leur solidification, et l’on connaît par ailleurs les variations de ce champ. On sait ainsi que les trapps du Deccan se sont mis en place en moins d’un million d’années, en quelques dizaines de « pulses »  de moins d’un siècle chacun. Ceci suppose une activité volcanique très intense qui a forcément eu des effets considérables sur le climat de la Terre. Par ailleurs, l’âge des trapps peut être déterminé de manière absolue par l’étude des isotopes radioactifs (méthode potassium/argon). On constate ainsi que chacune des cinq grandes crises de la biodiversité coïncide dans le temps avec la formation d’une région de trapps. Ainsi la limite permien-trias (250 Ma), qui vit disparaître 95 % des espèces marines connues par les fossiles, est contemporaine des trapps de Sibérie, dont le volume avant érosion était de 3 à 5 millions de km3. La  relation de cause à effet entre volcanisme et extinctions, via le changement climatique, ne fait guère de doute

Trapp d'Éthiopie (30 millions d'années environ). © GIUSTINO / LICENCE CREATIVE COMMONS

Mise en cause dans la disparition des dinosaures

La célèbre limite crétacé-tertiaire, qui vit disparaître les dinosaures il y a 65 Ma, mérite une attention particulière. En effet, il est maintenant bien   établi qu’elle coïncide avec l’impact de la météorite géante de Chicxulub, au Mexique. Celui-ci, projetant dans l’atmosphère des cendres et des poussières mais aussi 50 à 500 milliards de tonnes de SO2, aurait significativement refroidi le climat et réduit la photosynthèse, entrainant l’effondrement de nombreuses chaînes  alimentaires. Cependant, cette interprétation n’est nullement incompatible avec celle du volcanisme. En effet, la mise en place des trapps du Deccan, qui a commencé longtemps avant l’impact et s’est poursuivie après, a libéré de 20 à 200 fois plus de SO2 que lui, ainsi que du CO2 provoquant un réchauffement à plus long terme. Le scénario actuellement le plus probable est donc à rebondissements. Une alternance de refroidissements et de réchauffements liés au volcanisme intense du Deccan aurait perturbé les écosystèmes, conduisant à des extinctions et freinant la reconstitution de la biodiversité. La météorite de Chicxulub, par ses effets brefs et violents, serait un coup de massue donné à une biosphère déjà affaiblie. L’effet de serre à long terme aurait achevé de faire de cette période l’une des crises d’extinctions majeures de notre histoire.

Contact

Xavier Quidelleur
UFR SCIENCES
IDES (Interactions et Dynamique des Environnements de Surface)
Email : xavier.quidelleur@u-psud.fr
Tel : 01 69 15 48 87

Les commentaires sont fermŽs !