Net et droit

Depuis l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, jusque-là monopolisé dans chaque Etat membre par l’opérateur historique national, la réglementation européenne du secteur s’est progressivement enrichie par strates successives, notamment pour tenir compte des évolutions technologiques.

Où en est-on aujourd’hui ? Quelles vont être les conséquences des derniers textes adoptés par l’Europe en 2009 ? C’est un des thèmes de réflexion de l’Institut du Droit de l’Espace et des Télécommunications de la Faculté Jean Monnet.

L’Europe a lancé la libéralisation du marché des télécommunications en 1987 avec la suppression des monopoles et l’ouverture progressive des marchés à la concurrence laquelle a été achevée en 1998. Pour accompagner ce mouvement, le droit européen des télécommunications a été restructuré en 2002 autour de cinq directives réunies en un «paquet télécom». Ces textes ont permis de mettre en place un cadre clair et dynamique au service de la croissance du marché, de la protection des utilisateurs et de l’achèvement du marché européen. En 2009, l’Europe s’est dotée de trois nouveaux textes visant à améliorer le cadre juridique sans pour autant remettre en cause le régime établi en 2002, lequel a montré son efficacité en général. Ces trois textes sont : la Directive 2009/140/EC dite «mieux légiférer» ; la Directive 2009/136/CE dite «Droits des consommateurs» ; et le Règlement instituant l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE). Douze mesures principales ont été adoptées pour augmenter les droits des droits des utilisateurs, offrir un internet plus ouvert, et affiner les mécanismes de régulation.

Droits des utilisateurs renforcés

Le renforcement de la protection des consommateurs a fait l’objet d’un large consensus qui s’est traduit par : le délai d’activation de la portabilité des numéros en cas de changement d’opérateur ramené à un jour ouvrable ; une limitation de la durée des contrats avec un opérateur laquelle ne pourra excéder 24 mois avec la possibilité de conclure un contrat d’une durée maximale de 12 mois ; et une meilleure information des consommateurs avec des obligations plus détaillées. La protection de la vie privée des utilisateurs est également accrue par : une obligation des opérateurs d’informer les autorités chargées de la  protection des données personnelles et leurs clients des atteintes à la sécurité de données personnelles ; un régime plus clair sur les cookies avec le principe de consentement et d’informations préalables ; et la possibilité pour toute victime de «pollupostage» d’engager des actions en justice. Un régime de sanctions est désormais applicable aux fournisseurs de services de communications électroniques qui, par leur négligence, contribuent aux violations des dispositions relatives aux pollupostages. Soulignons aussi une meilleure prise en compte des droits des utilisateurs handicapés et un meilleur accès aux services d’urgence lorsqu’ils composent le numéro d’urgence européen, le 112.

Un internet plus ouvert

Jusqu’au dernier moment, des tensions sont restées très vives autour de l’affirmation du principe selon lequel aucune restriction à la liberté d’expression ou d’information ne peut, sauf cas de force majeure, être imposée sans décision préalable des autorités judiciaires (Amendement n°138 en première lecture). Cet amendement, notamment déposé par l’eurodéputé Daniel Cohn-Bendit en réponse au projet de loi français HADOPI (également connu sous le nom de loi  Création et Internet) a été validé par le Parlement européen, mais rejeté par le Conseil. Un compromis a finalement été trouvé. Ainsi, les mesures prises par les Etats concernant les restrictions aux réseaux de télécommunications doivent respecter les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 décembre 1950 et les principes généraux du droit communautaire. En outre, il est précisé que toute mesure de restriction doit respecter plusieurs droits fondamentaux dont la présomption d’innocence, le droit au respect de la vie privée et le droit à un procès équitable. Le texte ainsi adopté représente un recul par rapport à la proposition initiale du Parlement. D’une part, il s’agit d’un simple rappel des textes européens relatifs aux droits de l’homme et la création d’un droit fondamental à l’accès à l’Internet n’est pas consacrée. Ensuite, alors que le Parlement souhaitait voir inscrire le principe d’une procédure judiciaire préalable, le texte prévoit simplement des garanties procédurales adéquates préalables. Par ailleurs, l’Europe est en retrait par rapport à la position du gouvernement américain en ne créant pas une obligation de principe en faveur de la neutralité de l’Internet, selon lequel les opérateurs de réseaux ne doivent pas effectuer de discrimination entre les applications, les contenus, les services et les utilisateurs sur ces réseaux même si plusieurs dispositions permettent à la Commission et aux autorités de régulation nationales d’intervenir en la matière. De son côté, l’ARCEP, le régulateur français, a annoncé qu’elle conduirait une consultation sur la neutralité de l’Internet en 2010.

Une meilleure régulation

Un autre grand point de cristallisation des débats qui a suscité une opposition très nette des régulateurs nationaux et du Parlement européen était la proposition de la Commission de créer une Autorité européenne des communications électroniques. Il a finalement été décidé de mettre en place, non pas une agence communautaire, mais un Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) pour assister la Commission et les Etats membres. La Commission pourra, quant à elle, désormais exercer, en coopération avec l’ORECE, un droit de regard sur les projets de mesures imposées aux entreprises puissantes sur les marchés par les régulateurs nationaux afin de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles. En fait, la Commission obtient  moins que ce qu’elle souhaitait à l’origine puisqu’elle réclamait l’extension de son droit de véto, jusqu’alors limité à la définition des marchés pertinents à prendre en considération pour l’analyse de la concurrence effective et à l’identification des entreprises puissantes sur le marché et non une procédure de concertation. Parmi, les nouveaux outils de régulation, les autorités nationales de régulation ont désormais la possibilité d’imposer, à titre exceptionnel et en dernier recours, la séparation des activités de réseaux et de services sur les marchés qui ne sont pas suffisamment concurrentiels (séparation fonctionnelle). Les entreprises puissantes sur le marché, et en particulier les opérateurs historiques à l’image de France Télécom, devraient dès lors clairement isoler la gestion des infrastructures, pour la rendre plus transparente, et donc assurer une meilleure égalité des conditions d’accès entre leurs concurrents et leurs propres filiales commerciales, Orange par exemple. L’Europe a également décidé d’assouplir l’accès au spectre et sa gestion. Les Etats membres sont ainsi encouragés à mettre en place des autorisations neutres du point de vue technologique et à l’égard des services, afin de permettre aux utilisateurs du spectre de choisir les meilleures technologies et les meilleurs services à appliquer dans des bandes de fréquences déclarées disponibles pour les services de communications électroniques. Des exceptions au principe de neutralité technologique sont néanmoins autorisées notamment pour lutter contre les  brouillages préjudiciables. De même, les utilisateurs du spectre devraient aussi être en mesure de choisir librement les services qu’ils souhaitent offrir sur les bandes de fréquence sous certaines conditions. Compte tenu des risques de brouillages, l’application du principe de neutralité technologique au spectre risque de s’avérer très délicate. Les nouveaux textes confirment enfin la possibilité pour le régulateur de prendre des mesures pour soutenir le développement des infrastructures nouvelles, en particulier la fibre optique, notamment en incitant les opérateurs à investir.

Philippe ACHILLEAS

La Faculté Jean Monnet a célébré la Journée mondiale des télécommunications : Le 17 mai 2010, la faculté Jean Monnet a mené une réflexion sur la révision du droit communautaire des télécommunications dans le cadre de la Journée mondiale des télécommunications mise en place par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) et l’ONU. L’Institut du Droit de l’Espace et des Télécommunications, rattaché au Collège d’Etudes Internationales (CEI) de la  faculté Jean Monnet, a ainsi organisé un colloque à la Maison du barreau à Paris réunissant des experts français issus des plus grandes institutions administratives, de cabinets d’avocats prestigieux, des opérateurs majeurs et d’universités tous investis dans la régulation du marché des  télécommunications. Le succès de cette journée, largement suivie par le public, représente l’un des rares événements juridiques organisés pour célébrer, chaque année, le développement des télécommunications dans le monde.

Contact

Philippe Achilleas
FACULTÉ JEAN MONNET
IDEST  (Institut du droit de l’espace et des télécommunications)
Email : philippe.achilleas@u-psud.fr
Tél : 01 40 91 19 38


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