Scénarios de l’impact des changements globaux sur la biodiversité

Que savons-nous précisément sur l’avenir de la biodiversité ? Les observations de son état actuel et les modèles prédictifs sont légion, mais sur quels points sont-ils d’accord, et quelles sont les principales incertitudes ? Sur quelles bases solides les décideurs peuvent-ils s’appuyer pour élaborer des mesures de protection efficaces ? Paul Leadley, Directeur du laboratoire Ecologie, Systématique et évolution, coordonne actuellement une synthèse internationale de l’état des connaissances sur l’avenir de la biodiversité pour répondre à ces questions.

Quand on dit biodiversité on pense souvent nombre d’espèces vivantes, même si ce n’est qu’un des aspects de la question. Il ne fait aucun doute que le taux  actuel de disparition des espèces est bien plus élevé que dans le passé, et tous les modèles s’accordent à dire que ce taux ne va pas diminuer dans un avenir prévisible. Cependant, il est difficile de faire des prédictions quantitatives. Le chiffre fréquemment cité de 15 à 30 % d’espèces disparues d’ici 2050 est une estimation maximale; les prédictions varient tellement selon les modèles et les scénarios envisagés (notamment le changement climatique et l’utilisation des terres) qu’une grande prudence s’impose.

Répartition des espèces et pertes d’habitat

Moins souvent abordé que le problème des disparitions, celui de la répartition des espèces dans les écosystèmes a pourtant un impact encore plus important sur notre bien-être. Les prévisions dans ce domaine sont aussi plus précises. Un exemple marquant est celui des écosystèmes marins affectés par la surpêche. Alors qu’il y a 50 ans la plupart des pêcheries du monde était faiblement exploitées, aujourd’hui elles sont toutes exploitées au maximum de leur capacité de renouvellement, voire au delà. Comme la pêche affecte surtout les grands carnivores, on voit se mettre en place des chaines alimentaires extrêmement appauvries: phytoplancton, méduses, et quelques poissons quis’en nourrissent. Si rien n’est fait, cette situation va s’étendre à des zones de plus en plus importantes. Il suffirait pourtant de réduire relativement peu le taux de pêche pour rétablir un équilibre satisfaisant. Parmi les différents types  d’habitats menacés, les forêts sont les plus emblématiques. Alors que leur surface ne cesse de diminuer, on connaît les actions qui permettraient d’inverser le processus : augmentation des rendements agricoles (surtout en Afrique), par des méthodes évidemment respectueuses de l’environnement ; extension des aires protégées ; limitation des zones dédiées aux biocarburants. Il ne manque que la volonté politique aux échelles nationales et internationales.

Vue de la forêt tropicale depuis la zone d'atterrissage d'hélicoptère du site inselberg. Après la pluie, monte de la forêt un brouillard plus ou moins dense. Station des Nouragues en Guyane. © CNRS photothèque / DELHAYE CLAUDE

Modification des aires de répartition

Une conséquence indiscutable du réchauffement climatique est le déplacement de nombreuses espèces, qui peut bouleverser les écosystèmes. Ainsi certaines zones de toundra arctiques sont en train de se peupler de buissons, voire d’arbres, et les projections indiquent que cela pourrait s’étendre à l’ensemble des toundras. Plus près de nous, tous les modèles d’évolution de la forêt française s’accordent pour prédire la quasi-disparition des hêtres de notre pays d’ici 2050 si le climat évolue selon les scénarios admis. Les conséquences de tels changements dépendent fortement de la vitesse à laquelle ils se produisent, liée au rythme du réchauffement climatique.

Des points de basculement

Alors que la plupart des changements sont relativement progressifs, évoluant au rythme des causes qui leur donnent naissance, certains systèmes présentent un risque de «basculement» brutal et irréversible. Un exemple bien connu est la fonte de la banquise arctique, dont on pense qu’il est maintenant trop tard pour l’enrayer même si l’on parvenait à limiter le réchauffement. C’est aussi le cas de la régression des récifs coralliens, dont la cause est double. D’une part le réchauffement de la surface des mers, qui conduit à une multiplication des épisodes de «blanchissement» (quand les algues qui vivent en symbiose avec le corail quittent leur hôte, entrainant à terme la mort de celui-ci). D’autre part, l’acidification des océans due à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère, qui empêche les coraux de synthétiser leurs coquilles dures. S’il est certain que l’étendue des récifs coralliens va régresser, elle peut encore se stabiliser à un  niveau inférieur si on limite les émissions de CO2. Mais si les objectifs de Copenhague ne sont pas respectés, on s’achemine vers leur disparition totale.

Deux notes d’espoir

Ce tableau plutôt sombre peut cependant être nuancé par deux notes d’espoir. L’une tient à l’efficacité démontrée des aires protégées. Même si une telle zone ne peut pas être mise à l’abri des changements globaux (climat, acidité des océans…) on constate que les espèces y «récupèrent» beaucoup plus vite après une régression que dans les zones où elles sont soumises à d’autres stress. Il est donc important d’étendre les surfaces protégées, et il faudrait y inclure les eaux internationales dont l’exploitation n’est actuellement pas contrôlée. L’autre raison d’espérer est que la vie a toujours manifesté une remarquable capacité d’adaptation à toutes sortes de changements. Le facteur clé est ici le temps : si nous laissons aux espèces le temps d’évoluer, elles sauront s’adapter, alors que des changements trop rapides leur seront fatals. Ainsi, même si on ne peut enrayer le réchauffement climatique, tout ce qui peut être fait pour le ralentir sera favorable à la biodiversité.

Contact

Paul Leadley
UFR SCIENCES
ESE (Ecologie, Systématique et Evolution)
Email : paul.leadley@u-psud.fr
Tel : 01 69 15 72 22

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