Un pari pascalien

Le célèbre moraliste et scientifique français Blaise Pascal était-il un expérimentateur honnête et rigoureux ? Depuis le milieu du XXe siècle, la question suscite la controverse. Pour en avoir le cœur net, Armand Le Noxaïc, historien des sciences au GHDSO et professeur de physiqueà l’IUT d’Orsay a décidé de reconstituer avec des étudiants, la fameuse expérience des liquides.

Blaise Pascal (1623-1662) ©DR

«La nature a horreur du vide», l’aphorisme attribué à Aristote a traversé les siècles et en 1647, la plupart des scientifiques supposent que quelque matière invisible remplit l’espace. A contre-courant de ces théories, Blaise Pascal publie ses « Expériences nouvelles touchant le vide ». Dans ce traité, il décrit, entre autre, une expérience qu’il aurait faite à Rouen en janvier-février 1647. L’expérience est impressionnante puisque Pascal utilise deux tubes longs de 46 pieds (environ 15 m) qu’il remplit respectivement d’eau et de vin. Etant bouchés à leurs deux extrémités, ils sont placés à la verticale. Les extrémités inférieures plongées dans des cuves contenant de l’eau sont débouchées. L’eau et le vin descendent et se stabilisent à des hauteurs différentes avoisinant les 10 mètres, la pression atmosphérique extérieure empêchant les tubes de se vider davantage. Pascal avait fait cette expérience dans le but de montrer que le vide pouvait exister, et notamment au-dessus de ces colonnes d’eau et de vin. Selon son ami Roberval, Pascal voulait également confondre des notables et savants rouennais qui lui soutenaient que le vin devait monter moins haut que l’eau car il contenait davantage d’« esprits » (de vapeurs) qui rempliraient l’espace libéré en haut du tube. Dans son ouvrage, Pascal indique avoir trouvé une différence de hauteur égale environ à 1 pied (32,5 cm) en faveur du vin mais il se montre peu disert sur les détails et l’histoire aurait pu en rester là. Mais dans les années 50, l’historien des sciences Alexandre Koyré décide de refaire l’expérience au Palais de la Découverte avec un seul tube contenant de l’eau. Il constate alors un bouillonnement des liquides qui n’a pas été mentionné par Pascal – le doute s’installe sur la véracité de cette expérience. Dans les années 80, des chercheurs japonais font une reconstitution avec deux tubes contenant de l’eau et du vin, et constatent que le vin monte moins haut que l’eau contrairement à ce qu’avait dit Pascal. De là à affirmer que Pascal aurait menti, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à franchir le pas. L’expérience n’aurait jamais été réalisée autrement qu’en pensée. Historien des sciences, spécialiste de Pascal et enseignant en mécanique des fluides à l’IUT d’Orsay, Armand Le Noxaïc n’est pas d’accord avec cette suspicion qui s’est installée à l’encontre de l’illustre scientifique. Au début de l’année universitaire, il décide de refaire l’expérience à son tour avec des étudiants qu’il encadre en projet tuteuré.

Reconstitution historique, vertus pédagogiques.

La méthode de réplication en histoire des sciences – que Pierre Lauginie, chercheur au GHDSO, cherche à promouvoir dans notre Université – est une approche expérimentale de l’histoire des sciences. Elle consiste à répliquer des expériences scientifiques du passé, en étant aussi fidèle que possible aux conditions de l’époque. Elle permet d’apporter à l’histoire des éléments qui ne se trouvent pas toujours dans les documents souvent lacunaires. Cette pratique expérimentale très contraignante est très formatrice pour des étudiants, en développant leur rigueur et en les sensibilisant à l’importance de ce qui pourrait apparaître  comme un simple détail. Le contact concret avec l’expérience aide à replacer celle-ci dans son contexte historique et épistémologique, à en comprendre le  sens, les difficultés et l’importance dans le mouvement des idées. En décembre 2009, après des semaines de préparation, Armand Le Noxaïc et ses étudiants hissent leurs deux tubes dans la cour de l’IUT. Les conditions initiales semblent être reproduites : l’expérience se déroule en extérieur et en hiver, comme ce fut le cas à l’époque. Ces conditions sont capitales, car la température influencera les pressions de vapeur saturante des fluides et donc leurs hauteurs finales dans les tubes. C’est pourtant un échec. Le niveau du vin reste inférieur à celui de l’eau. Le doute s’installe… et semble confirmer la thèse de l’imposture. Déçu par le résultat, Armand Le Noxaïc se replonge dans la lecture des textes historiques mentionnant l’événement. Un « détail » attire alors son attention : la densité du  vin utilisé par Pascal est anormalement basse, signe d’un taux d’alcool plus élevé que la moyenne. La confirmation sera apportée par un historien du vin, c’était une pratique courante à l’époque que d’enrichir les vins avec des alcools forts, à la fois pour en masquer l’acidité et faciliter la conservation. Cette pratique  existe encore de nos jours, on parle alors de vin muté. Le 11 février 2010, les deux tubes sont à nouveaux remplis mais cette fois, le vin est enrichi d’Armagnac et son degré d’alcool s’élève ainsi à 20,5° – ce qui correspond au degré alcoolique d’un vin muté encore aujourd’hui. Et là, pour le plus grand bonheur des  chercheurs et des étudiants, le niveau du vin se positionne largement au-dessus du niveau de l’eau, exactement comme Pascal l’a décrit.

En l’absence de preuves formelles, nul ne pourra jamais avoir la totale certitude que Pascal a vraiment réalisé cette expérience. Mais la reconstitution faite à l’IUT d’Orsay en a prouvé la faisabilité. Armand Le Noxaïc a atteint son objectif : laver la réputation du grand homme, en entraînant ses jeunes étudiants sur les traces d’un scientifique qui a su bousculer les dogmes, pour faire avancer la connaissance.

Contacts

Armand Le Noxaïc
UFR SCIENCES
GHDSO (Groupe d’Histoire et de Diffusion des Sciences d’Orsay)
Email : armand.le-noxaic@u-psud.fr
Tel : 01 69 33 60 76

Pierre Lauginie
UFR SCIENCES
GHDSO (Groupe d’Histoire et de Diffusion des Sciences d’Orsay)
Email : pierre.lauginie@u-psud.fr
Tel : 01 69 15 61 79

Les commentaires sont fermŽs !