Depuis l’espace, la vie prend son sens

Certaines molécules dites chirales existent sous deux formes qui sont l’image symétrique l’une de l’autre dans un miroir. Or sur Terre, les molécules chirales du vivant ne sont présentes que sous une seule forme : gauche, les acides aminés ou droite, les sucres. Et si cette asymétrie du vivant avait une origine cosmique ? C’est l’hypothèse qu’a testé avec succès une équipe de l’IAS* grâce à une expérience menée sur le synchrotron Soleil.

* Cette expérience a été menée en collaboration avec le Laboratoire de chimie des molécules bioactives et des arômes (Université de Nice/CNRS) et a bénéficié du soutien du CNES. Les résultats ont été publiés en ligne sur le site de The Astrophysical Journal Letters.

L'homochilarité observée sur Terre pourrait avoir une origine interstellaire ©NASA

Les molécules chirales sont des molécules pouvant exister sous deux formes (énantiomères) qui sont l’image symétrique l’une de l’autre dans un miroir : gauche et droite. Par exemple, nos mains sont chirales car elles se présentent sous deux formes non superposables mais symétriques l’une de l’autre dans un miroir, la main gauche et la main droite. Les molécules biologiques sont pour la plupart chirales, mais certaines formes ou énantiomères sont privilégiées. Ainsi, les acides aminés des protéines n’existent que sous une de leurs deux formes : la forme gauche. Au contraire, les sucres présents dans l’ADN des organismes vivants sont eux uniquement de forme droite. On appelle homochiralité, cette propriété des molécules organiques de n’exister dans les êtres vivants que sous une de leurs deux formes structurales.

 

Deux scénarios possibles

Figure 1 : Principe général de l'expérience Chiral-MICMOC: le synchrotron SOLEIL (SSR) produit le rayonnement UV vers la ligne DESIRS qui polarise circulairement le faisceau. Celui-ci est filtré dans le filtre à Xénon (Xe) pour obtenir la lumière désirée (VUV-CPL), réfléchie sur un miroir G, le faisceau passe par le polariseur (POL) qui en mesure la qualité puis irradie le dépôt de glace à 80 K en fin de course. Une analyse énatiosélective par double chromatographie en phase gazeuse et spectrométrie de masse est réalisée et une asymétrie L est constatée. En lumière linéairement polarisée, l'alanine obtenue est racémique. En inversant l'hélicité de la polarisation, un excès droit peut être obtenu.

Quelle est l’origine de cette asymétrie dans la matière biologique ? Deux hypothèses principales s’affrontent. La première suppose que la vie serait apparue à partir d’un mélange contenant 50 % d’un énantiomère et 50 % de l’autre (mélange dit racémique), et que l’homochiralité serait survenue progressivement au cours de l’évolution. La seconde estime que l’asymétrie menant à l’homochiralité serait antérieure à l’apparition de la vie, et d’origine « cosmique ». Elle est étayée par la détection d’excès de forme gauche sur certains acides aminés extraits de météorites  primitives. Suivant ce scénario, ces acides aminés auraient été synthétisés dans l’espace interstellaire de manière non racémique et véhiculés sur Terre par des grains cométaires et des météorites. Pour conforter cette hypothèse, les chercheurs ont tout d’abord reproduit en laboratoire des analogues de glaces interstellaires et cométaires. Principale originalité de leur expérience (figure 1) : les glaces ont été soumises, sur la ligne DESIRS du synchrotron SOLEIL (figure 2), à un rayonnement ultra-violet « polarisé circulairement » (UV-CPL) censé mimer les conditions rencontrées dans certains milieux interstellaires. Lors du réchauffement de ces glaces, un résidu organique soluble dans l’eau se forme. Une analyse fine de cette substance a révélé qu’il contenait un excès énantiomérique significatif d’un acide aminé chiral, l’alanine. Supérieur à 1,3 %, cet excès est comparable à celui mesuré dans les météorites primitives. Ainsi, les chercheurs sont parvenus à produire, dans des conditions interstellaires, des molécules « du vivant » asymétriques à partir d’un mélange de glaces (H2O, 13CH3OH, NH3) ne contenant pas de substances chirales. C’est la première fois qu’une piste expliquant l’origine de cette asymétrie est démontrée par une expérience reproduisant une synthèse entièrement naturelle.

 

Figure 2 : Le faisceau UV de la ligne DESIRS sur le synchrotron SOLEIL, matérialisé ici dans le visible par son interaction avec un flux de Xénon. Ce faisceau est ensuite envoyé sur un porte échantillon où sont condensées des glaces, analogues à celles présentes dans le milieu interstellaire. La photochimie induite par ce rayonnement va former des molécules complexes, chirales et, en utilisant la lumière circulairement polarisée, un léger excès énantiomérique sur un acide aminé protéique, l'alanine. ©DR

 

L’origine prébiotique privilégiée

Ce résultat conforte l’hypothèse selon laquelle l’origine de l’homochiralité serait prébiotique et cosmique, c’est-à-dire réellement interstellaire. Selon ce scénario, l’apport de matière organique « extraterrestre » comportant un excès énantiomérique synthétisé via un processus astrophysique asymétrique (ici, il s’agit d’un rayonnement UV-CPL) serait à l’origine de l’asymétrie des molécules du vivant sur Terre. Cette matière pourrait même avoir été formée en dehors du système solaire. Enfin, la nébuleuse solaire pourrait s’être constituée dans des régions de formation d’étoiles massives. En effet, dans de telles régions, un rayonnement infrarouge polarisé circulairement dans un même sens est observé sur des distances largement supérieures au Système Solaire. Au-delà de ces résultats, la sélection d’un seul énantiomère constatée sur Terre pour les molécules du vivant ne serait pas le fruit du hasard, mais bien celui d’un mécanisme physique déterministe.

Références :
Non-racemic amino acid production by ultraviolet irradiation of achiral interstellar ice analogs with circularly polarized light. Pierre de Marcellus, Cornelia Meinert, Michel Nuevo, Jean-Jacques Filippi, Grégoire Danger, Dominique Deboffle, Laurent Nahon, Louis Le Sergeant d’Hendecourt, and Uwe J. Meierhenrich. The Astrophysical Journal Letters., vol. 727 (issue 2), L27 (2011).

EN SAVOIR PLUS : http://iopscience.iop.org/2041-8205/727/2/L27

 

Contact

Louis Le Sergeant D’Hendecourt
FACULTÉ DES SCIENCES
Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS )
Tél. : 01 69 85 86 40
ldh@ias.u-psud.fr

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