Cas d’espèces

Depuis la publication en 1859, du célèbre livre de Charles Darwin « L’origine des espèces par sélection naturelle », le phénomène de spéciation, c’est-à-dire de formation des espèces, demeure une des questions fondamentales de la biologie évolutive. Les processus par lesquels une espèce donne naissance à deux espèces filles distinctes sont en effet encore loin d’être bien établis, même si des progrès considérables ont été accomplis depuis l’oeuvre fondatrice de Charles Darwin.

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Carte de répartition de deux espèces de frênes ( Fraxinus excelsior et Fraxinus angustifolia), et de leurs hybrides. L’étendue et les conséquences de cette hybridation entre des arbres forestiers sont étudiés au laboratoire ESE.

Le problème principal que pose la spéciation est que les brassages de gènes entre individus qui se produisent au sein d’une espèce lors de la reproduction sexuée empêchent que cette espèce se divise en deux lignées génétiquement distinctes. Même s’il existe des pressions de sélection qui tendent à faire diverger deux populations en espèces ayant des caractères différents, les flux de gènes à chaque génération homogénéisent ces populations, empêchant leur divergence. Les études actuelles sur la spéciation visent donc à comprendre comment les flux de gènes peuvent être stoppés entre des populations. Des obstacles géographiques, comme une montagne ou un océan, peuvent être des barrières efficaces aux flux de gènes, mais encore faut-il comprendre dans ce cas le rôle de la sélection dans le processus de divergence. La possibilité de spéciation sans barrière géographique est assez controversée, mais il semble qu’elle puisse se produire par une sélection pour un isolement reproducteur. Dans le cas bien étudié d’insectes parasites de fruits par exemple, des individus adaptés à une espèce de plante donnée peuvent être sélectionnés pour ne se croiser qu’avec d’autres individus adaptés à cette même plante, parce qu’ils produisent ainsi une descendance également adaptée à cette plante.

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Fleur de Silene latifolia (compagnon blanc) infectée par le champignon pathogène "Microbotryum violaceum", causant la maladie du charbon des anthères: la plante est stérilisée car le champignon produit ses spores dans les anthères à la place du pollen.© DR

Plusieurs approches sont utilisées au sein des laboratoires du grand campus de Paris Sud, en particulier à l’ESE, au LEGS et au Moulon pour étudier la spéciation. Des simulations mathématiques servent à rechercher les conditions dans lesquelles une spéciation sans barrière géographique peut se produire. Elles permettent par exemple d’évaluer la force de sélection nécessaire pour faire émerger un isolement reproducteur entre des populations de parasites adaptées à des hôtes différents. Des études expérimentales sont menées pour comprendre comment se sont mises en place des barrières reproductives entre espèces proches, c’est-à-dire quels types de barrière ont évolué, et à quel rythme. Des modèles biologiques très variés sont étudiés, des drosophiles aux champignons, en passant par les arbres forestiers, les insectes ravageurs de cultures et les eucaryotes unicellulaires des milieux aquatiques. Concernant les drosophiles par exemple, les études portent sur les signaux chimiques qu’elles utilisent pour reconnaître leur partenaire sexuel, sur des incompatibilités entre populations – causées par des gènes qui perturbent la formation des gamètes ou par des bactéries qui tuent les embryons. – ou encore sur les remaniements des génomes causés par les éléments mobiles d’ADN. Dans certains cas, des espèces proches pourront se croiser et produire des hybrides. Ceux-ci sont très utiles pour comprendre comment des espèces peuvent rester distinctes tout en s’hybridant, ou à l’inverse, comment elles peuvent échanger certains gènes même si les hybrides sont peu viables ou peu fertiles.Une analyse génétique appropriée permet parfois de remonter jusqu’aux gènes dits de « spéciation » qui affectent la viabilité ou la fertilité de ces hybrides.

Une forme particulière de spéciation est également étudiée au sein des laboratoires du grand campus de Paris Sud : la domestication des plantes cultivées. Charles Darwin lui-même avait beaucoup utilisé les exemples de sélection artificielle par l’homme dans sa réflexion sur les processus de spéciation. Comprendre comment se sont formées de nouvelles variétés sous l’action de la sélection par l’homme est intéressant en agronomie, mais aussi pour élucider les processus naturels de spéciation et d’adaptation.

Tatiana Giraud, Laboratoire Ecologie, Syst̩matique, Evolution РUniversit̩ Paris-Sud 11
Catherine Montchamp-Moreau, Laboratoire Evolution, Génomes et Spéciation, CNRS – Université Paris-Sud 11

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