Le cerveau et son évolution

La question de l’origine du cerveau humain est au cœur d’interrogations essentielles depuis l’Antiquité. Quelles caractéristiques du fonctionnement du corps humain, et tout particulièrement de son cerveau rendent l’homme différent des autres espèces animales ? Quels mécanismes sont à l’œuvre pour fabriquer un organe aussi complexe que le cerveau ?

Depuis une trentaine d’années, le renouveau de la biologie évolutive et de l’embryologie comparée a conduit à une floraison de travaux passionnants sur les mécanismes génétiques et les phénomènes qui ont conduit à l’émergence du cerveau des vertébrés et à l’apparition des nouveautés qui les caractérisent. L’homme n’y fait pas exception. En effet la multiplicité des formes animales n’a d’égale que celle des formes et des fonctions du système nerveux.

C’est le système nerveux qui permet aux animaux de percevoir et d’agir dans le monde et sur le monde, chacun à leur manière. Il joue un rôle central dans l’adaptation des animaux à leur milieu, et la sélection naturelle, si brillamment révélée par Darwin, a fortement orienté le choix des comportements et des structures nerveuses dont ils dépendent. Les animaux dits “vertébrés“ ou “crâniates“ sont caractérisés par la formation d’un cerveau volumineux à l’intérieur du crâne (l’encéphalisation), l’existence d’un ensemble d’organes des sens pairs (l’oreille interne, le système olfactif et gustatif, les yeux, les organes du tact…) et d’une innervation spécifique des organes périphériques (le système sympathique) qui les distinguent de leurs cousins les plus proches, les prochordés (ascidies et amphioxus par exemple).

© INSERM / CABANIS EMMANUEL-ALAIN

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Une partie des secrets de la diversité des formes du système nerveux est à chercher dans les mécanismes génétiques et cellulaires qui le façonnent au cours du développement embryonnaire. Ces mécanismes diffèrent d’une espèce à l’autre pour former des systèmes nerveux adultes adaptés aux fonctions des organismes et aux milieux dans lequel ils vivent.

Pour comprendre ces phénomènes, la méthode consiste à comparer les réseaux génétiques et la morphogénèse à l’œuvre pour établir les formes et les fonctions des systèmes nerveux d’espèces animales différentes. Les comparaisons conduisent à formuler des hypothèses qui peuvent ensuite être testées chez des animaux modèles comme la drosophile (la petite mouche du vinaigre), le poulet ou le danio (un petit poisson d’aquarium, joliment zebré). De nombreuses méthodes expérimentales permettent désormais de manipuler l’expression ou la fonction des gènes, de modifier les signaux chimiques reçus par les cellules, de greffer des cellules d’origines différentes et d’en observer les effets. Il est ainsi souvent possible de reproduire expérimentalement certains des changements de formes et de fonctions qui ont été sélectionnés dans une espèce au cours de l’évolution. Par exemple, la manipulation d’un signal chimique embryonnaire est capable de reproduire chez le poulet certaines des formes des becs des pinsons des Galapagos que Darwin avait observé lors de son voyage sur le Beagle. Ce sont ces mêmes becs de pinsons qui avaient contribués à donner à Darwin l’idée que la nature sélectionnait dans un grand nombre de formes possibles celles qui étaient les plus appropriées au mode de vie de ces animaux.

Le bec des oiseaux dérive d’une structure embryonnaire d’une extraordinaire plasticité, la crête neurale. Cette crête neurale est un groupe de cellules qui se forme chez l’embryon à la jonction entre le tissu cutané et le tissu nerveux. Les cellules qui en sont issues colonisent les arcs branchiaux pour former la plus grande partie de la face, des mâchoires et du bec, du crâne et des méninges. De façon très remarquable, les innovations du système nerveux des vertébrés telles que la formation d’un cerveau volumineux à l’intérieur du crâne, semblent dépendre de la  présence de la partie antérieure, céphalique, de la crête neurale qui joue ici le rôle clé. Une préfiguration de cette crête neurale existe dans le groupe d’espèces le plus proche des vertébrés (les ascidies, appartenant au groupe des urochordés), mais son plein développement, et surtout l’existence de son contingent céphalique semble avoir été “inventée“ (c’est à dire sélectionnée) chez les vertébrés, élément décisif de leur évolution.
Une observation particulièrement féconde par ses conséquences et ses implications a été de montrer que le plan général de l’organisation du cerveau est le même chez tous les vertébrés, sans doute fixé dans ses grandes lignes dès l’origine de ce groupe d’espèces. Ce plan correspond à la formation de segments aisément reconnaissables(appelés neuromères), qui divisent le tube neural selon ses deux axes principaux, dorso-ventral et antéro-postérieur. Chacun de ces segments donnera naissance à l’une des grandes régions du système nerveux. La différentiation des cellules qui forment ces régions et les connexions neuronales qu’elles établiront dépend de l’identité définie par les gènes exprimés dans chacun des segments du tube neural. Si le plan est le même pour tous les vertébrés, de nombreuses transformations peuvent survenir dans chacun des segments, donnant naissance à toutes les variations de l’anatomie fonctionnelle, et aux adaptations comportementales qui caractérisent chaque groupe de vertébrés. Ainsi, des poissons aux amphibiens, des lézards aux mammifères, chaque espèce a développé des particularités adaptatives, à partir d’un plan commun, mais indépendamment les unes des autres, un peu comme les bâtisseurs du Moyen Age ont construit tant d’églises différentes sur le plan de la croix latine.

La volumineuse taille du cerveau des vertébrés est un autre aspect intrigant de l’évolution de ces organismes. Il est notable que le volume cérébral s’accroît avec la masse corporelle, les plus grands animaux ayant aussi les plus gros cerveaux. Cette relation de proportionnalité s’appelle l’allométrie. Elle révèle les fortes contraintes que le métabolisme impose sur le développement des organismes et de leurs cerveaux. Néanmoins, dans les limites imposées par ces contraintes, il existe, dans tous les groupes de vertébrés, des espèces qui réussissent à construire un cerveau un peu plus gros que ne le veut ce principe d’allométrie. Ceci est vrai aussi bien chez les oiseaux (les perroquets par exemple), les poissons (certains cichlidés), ou les mammifères (les primates dont l’homme). Les espèces qui ont un cerveau proportionnellement un peu plus gros que les autres sont en général des espèces sociales, avec un mode de vie où les interactions entre individus sont particulièrement complexes, hiérarchisées et élaborées, nécessitant sans doute des capacités cognitives spécialisées dans ces interactions sociales et ce qu’elles supposent d’efficacité en terme de traitement des informations et de capacité d’action.

En effet, pour quelques neurones en plus ou en moins, pour une modification en apparence subtile de la neurotransmission, par un changement simple de la proportion des types cellulaires qui se différencient chacun des segments cérébraux, de nouveaux circuits neuraux peuvent se former et chaque espèce adapter son organisation cérébrale à l’utilisation la plus appropriée des millions d’informations que traite le cerveau chaque seconde. Le mode de vie et l’organisation sociale de nos ancêtres primates a sélectionné une organisation et des fonctions cérébrales qui donnent à l’homme une capacité à apprendre, à se représenter le monde et le temps, d’imaginer et  d’inférer, de parler et d’agir qui lui est propre. Par les mécanismes et les processus évolutifs qu’elle met en évidence, la biologie comparée du développement donne un sens à l’observation de la diversité des formes et des fonctions du système nerveux. Elle fournit aussi à l’esprit humain les éléments d’une histoire naturelle dont il est héritier, semblable à celle des autres vertébrés mais riche aussi de tant d’innovations dont la connaissance approfondie l’aideront à comprendre la vraie nature.

Philippe Vernier et Franck Bourrat, Développement, Evolution et Plasticité du Système Nerveux, UPR2197,  CNRS, Université Paris-Sud 11.

Un commentaire pour “Le cerveau et son évolution”

  1. merçi beaucoup pour ces informations capitales qui
    vont m’aider à produire un bon TPE ^^ .