Médicaments à têtes chercheuses

Depuis quelques années, la découverte de nouveaux médicaments tend à se ralentir. Il faut dire que les approches classiques sont longues et couteuses. A la Faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, Patrick Couvreur a développé TERNANOMED*, une plate-forme originale pour accélérer la découverte de médicaments plus efficaces contre le cancer, les maladies infectieuses et métaboliques.

* « Terpenoylation : an original concept for the discovery of new nanomedicines »

Le chemin emprunté par un médicament depuis son point d’administration jusqu’à l’endroit où il doit exercer son effet thérapeutique est un véritable parcours du combattant. L’encapsuler sous forme de nanoparticule est l’une des voies prometteuses développées par les chercheurs pour faciliter ce parcours. Encore faut-il trouver des molécules susceptibles d’adopter cette configuration nanoparticulaire. En s’intéressant aux terpènes, un groupe de composés naturels extrêmement diversifiés, l’équipe de Patrick Couvreur ouvre un chemin inexploré qui pourrait bien aboutir à la mise au point d’un nouvel arsenal thérapeutique. Ces travaux lui ont valu d’être l’un des lauréats de l’ERC Advanced Grant (encadré).

Barrières technologiques

L’introduction des nanotechnologies en pharmacologie a révolutionné l’administration des médicaments, notamment grâce au principe de vectorisation. La vectorisation d’un médicament est basée sur le principe d’adressage, qui consiste à encapsuler le médicament dans un nanovecteur (le plus souvent un liposome, une nanoparticule ou une micelle), de telle sorte que celui-ci ne délivre son principe actif qu’après avoir pénétré la cellule malade, et non pas durant son « chemin » via la circulation sanguine. Généralement comprise entre 20 et 300 nanomètres, la petite taille de ces dispositifs thérapeutiques leur permet de pénétrer plus aisément dans l’organisme. L’objectif de l’adressage est donc d’améliorer l’efficacité des traitements tout en obtenant une meilleure maîtrise de leur index thérapeutique, ce qui permet de réduire leur toxicité et d’en limiter les effets secondaires.

Pourtant, malgré des avancées indéniables, force est de constater qu’à ce jour, ces techniques n’ont pas encore apporté les résultats escomptés pour traiter les pathologies graves comme le cancer, les infections intracellulaires ou encore certains troubles métaboliques. En effet, malgré le grand nombre de publications dans ce domaine, un nombre très limité de nanomédicaments a pu effectivement être commercialisé. Les raisons en sont connues, notamment le fait que les vecteurs utilisés aujourd’hui ne permettent pas d’administrer des quantités suffisantes de principes actifs ou parce que le médicament est libéré trop vite, avant d’atteindre le site d’action. Les pharmacologues se retrouvent donc aujourd’hui face à des verrous technologiques qui ne pourront être levés que par l’émergence de nouveaux paradigmes.

Trouver la bonne combinaison

Parmi les difficultés rencontrées, l’une consiste notamment à identifier les molécules capables de bien se combiner pour former les nanoparticules recherchées. En 2007, l’équipe de Patrick Couvreur fait une découverte qui concerne l’un des principaux médicaments prescrit en chimiothérapies anticancéreuses, la gemcitabine. La principale difficulté pour encapsuler la gemcitabine tient au fait que cette molécule est très hydrophile alors que l’encapsulation nécessite des interactions hydrophobes. Aucun des vecteurs traditionnellement utilisés, comme l’encapsulation dans des polymères ou le couplage à des acides gras, ne permettent d’y parvenir. La solution viendra d’un lipide ayant une conformation moléculaire particulière, le squalène. Cette découverte s’est avérée extrêmement importante car elle a montré que ces molécules beaucoup plus lipophiles allaient pouvoir être injectées par voie intraveineuse et de ce fait, pénétrer bien plus facilement à travers les membranes biologiques. Et de fait, les résultats des études menées ont été enthousiasmants puisque les nanoparticules ainsi formées se sont avérées cinq à sept fois plus actives que la gemcitabine seule sur des modèles tumoraux. Forte de ce succès, l’équipe a alors souhaité étendre cette combinaison gagnante à d’autres molécules médicamenteuses. Mais, selon les molécules, le squalène ne joue plus son rôle aussi parfaitement. Les chercheurs ont alors élargi leur panel. Le squalène fait partie d’une grande famille de molécules extrêmement répandues dans la nature : les terpènes et leurs dérivés, les terpénoïdes, dont les caractéristiques physico-chimiques en font des candidats idéaux pour l’encapsulation de principes actifs.  Ces lipides peuvent être trouvés dans toutes les classes de créatures vivantes et constituent le plus large groupe de produits naturels avec plus de 30 000 terpènes répertoriés dans la nature ! D’où l’idée de monter une plate-forme qui permette d’accélérer la caractérisation de ces dizaines de milliers de lipides et leur couplage avec des composés à activité anticancéreuse, antivirale, antibiotique etc.. Après avoir étudié la structure nanoparticulaire qui résultera de ces combinaisons, les chercheurs testeront l’activité thérapeutique sur des modèles expérimentaux précliniques.

Une approche multidisciplinaire

Mais le projet TERNANOMED est encore plus ambitieux. Après avoir établi un nouveau catalogue de relations structure/activité des nanoparticules obtenues par la combinaison d’un terpène avec une molécule médicamenteuse, les chercheurs entendent, en effet, aller plus loin encore en étudiant leur distribution intracellulaire. L’approche consiste à greffer des ligands à la surface de ces nanoparticules puis à étudier les différents mécanismes mis en jeu pour conduire ces nano-objets au cœur des cellules cibles. En clair, pour que son action soit plus efficace, mieux vaut que la nanoparticule ne se perde pas en chemin, et une fois qu’elle est bien arrivée à destination, encore faut-il qu’elle reconnaisse correctement  sa cible. C’est le concept du médicament intelligent ! Enfin, autre volet du projet, l’aspect diagnostic, car, et c’est un de leurs autres atouts, les nanoparticules peuvent être multifonctionnelles. Et ce qui intéresse les chercheurs, c’est aussi de pouvoir combiner la délivrance d’un traitement avec une activité d’imagerie qui permette, par exemple, d’ajuster le dosage du nanomédicament en temps réel.

Programmé pour cinq ans, le projet Ternanomed est axé sur une approche multidisciplinaire incluant la chimie de conjugaison, la physico-chimie des assemblages supramoléculaires, la pharmacotechnie, la biologie moléculaire et cellulaire et la pharmacologie. Cette plate-forme de recherche originale est porteuse de beaucoup d’espoir dans le développement de nouveaux médicaments pour le traitement plus efficace des maladies sévères.

Figure montrant la morphologie d'une nanoparticule de gemcitabine ssqualène en cryomicroscopie, l'activité sur des souris cancéreuses ainsi qu'une modélisation moléculaire.

Figure montrant la morphologie d'une nanoparticule de gemcitabine ssqualène en cryomicroscopie, l'activité sur des souris cancéreuses ainsi qu'une modélisation moléculaire.

Contact

UFR Pharmacie

Laboratoire de physico-chimie, pharmacotechnie et biopharmacie

Patrick Couvreur

Tel 01 46 83 53 96

patrick.couvreur@u-psud.fr

Deux lauréats de l’ERC Advanced Grant

Le 14 janvier, le Conseil européen de la recherche a annoncé la liste des lauréats de son deuxième appel à « Advanced Grants ». Parmi les 236 chercheurs sélectionnés, Patrick Couvreur et François Labourie, ont été retenus. Patrick Couvreur s’est vu octroyer une subvention de plus de 2 millions d’euros pour son projet original sur la découverte de nouveaux nanomédicaments. François Labourie, a obtenu une subvention de 1,5 millions d’euros pour son projet sur l’étude des symétries des groupes de surfaces en grande dimension.

Premier organisme de financement européen depuis 2007, le Conseil Européen de la Recherche (European Research Council – ERC) a pour objectif de soutenir l’excellence et le dynamisme de la recherche en Europe. Ses activités font partie du 7ème programme cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRDT). L’ERC Advanced Grant est une bourse récompensant des chercheurs confirmés qui se sont imposés comme des références dans leur propre domaine. Pour cela, ils doivent s’être illustrés par la réalisation d’importants travaux de recherche au cours des 10 dernières années et s’être distingués par l’originalité de leur approche et l’importance de leurs contributions à la recherche. Le porteur de projet doit dédier au moins un tiers de son temps au projet ERC. Le dossier, quant à lui, doit démontrer l’excellence du chercheur et souligner l’aspect novateur du projet de recherche proposé. Le projet doit être ambitieux et créatif par rapport aux avancées scientifiques envisagées et aux approches proposées, en utilisant des méthodes non conventionnelles et éventuellement des développements interdisciplinaires. Pour l’édition 2009 de l’ERC Advanced Grant, parmi plus de 1500 soumissions émanant d’organismes de recherche ou d’universités européens, 236 ont été sélectionnés, parmi lesquels 34 français, plaçant ainsi la France en deuxième position derrière le Royaume-Uni. Les projets de Patrick Couvreur et de François Labourie ont été retenus pour leur caractère original et pionnier dans les domaines du médicament et des mathématiques.

Un commentaire pour “Médicaments à têtes chercheuses”

  1. salut je suis une étudiantes de 2éme année master option:analyse biologique et biochimique s.v.p je cherche un mémoire ou des informations sur l’encapsulation des différents antalgique ou antibiotiques j’attend ta réponse et merci.