Quand l’IUT d’Orsay se mêle de ceux qui ne nous regardent pas

Du 29 mars au 2 avril, l’IUT d’Orsay a accueilli cinq stagiaires venus suivre la deuxième session du Certificat Informatique et Internet. Leur signe particulier ? Ils sont non voyants. Grâce à un partenariat original entre l’IUT et leur association, l’Unadev, ils sont les premiers à bénéficier de ce dispositif unique en France.Année après année, loi après loi, les chiffres sont là pour le rappeler, l’insertion professionnelle des personnes handicapées en général et des non-voyants en particulier reste beaucoup plus difficile et aléatoire que pour le reste de la population. Parmi les facteurs connus, la rareté des formations adaptées. D’où l’intérêt de la préparation au certificat informatique C2i mis en place à l’IUT d’Orsay.

Histoire d’un projet singulier

Comme beaucoup de projets, celui-ci a démarré par une rencontre. En 2006, Jean-Luc Krust enseignant en économie-gestion à l’IUT d’Orsay devient presque non-voyant. Commence alors pour lui une difficile période d’adaptation à cette nouvelle situation. Si aujourd’hui, grâce à l’assistance d’une personne qui lit et annotes ses copies sous sa direction, il a pu reprendre son activité d’enseignant tout à fait normalement (à temps complet, cours en amphi et Travaux Dirigés), c’est notamment  grâce à l’aide d’une association, l’Union Nationale des Aveugles et Déficients Visuels (UNADEV) (encadré 1). Parmi les différentes actions qu’elle mène, l’association propose des formations à distance dans le domaine des langues étrangères, de l’enseignement du braille et de l’informatique. C’est Philippe Boulanger qui dirigeait le Centre de formation. Il est titulaire d’un BTS informatique. C’est le seul de l’équipe à posséder une formation supérieure en informatique. Une situation malheureusement très classique. La plupart du temps, pour les non voyants, l’accès à l’enseignement supérieur relève d’un véritable parcours du combattant. C’est Philippe qui forme Jean-Luc Krust aux logiciels adaptés. Entre les deux hommes, le contact est chaleureux. «Encadrée par Philippe Boulanger cette équipe de salariés et de bénévoles a su acquérir des vraies compétences en informatique, qu’ils mettent au service de la communauté. Malheureusement jusqu’à aujourd’hui ces compétences n’étaient pas reconnues par le monde académique» regrette Jean-Luc Krust. L’idée fait alors son chemin : pourquoi ne pas monter une plate-forme de formation professionnelle à l’usage des non voyants ? L’idée est soumise à Hélène Maynard, Chef du Département d’informatique à l’IUT d’Orsay qui se montre d’emblée enthousiaste. Le principe est acquis mais la forme reste à imaginer. «A l’IUT d’Orsay, nous offrons à nos étudiants la possibilité de passer la certification C2i. Ce Certificat Informatique et Internet qui repose sur un référentiel national universitaire permet de valider des compétences en informatique. J’ai donc contacté la cellule C2i de l’Université et nous avons commencé à monter ce projet». Ce sera une première en France. Les ordinateurs et les micro-casques ont été financés par l’IUT, tandis que l’Unadev a pris en charge l’achat des logiciels. Grâce à ces équipements, cinq formateurs en informatique non voyants ont ainsi pu préparer la certification C2i à l’IUT d’Orsay, lors de deux sessions d’une semaine.

Certifié conforme

C’est en 2005 que le C2i est entré en phase de généralisation pour toutes les universités françaises et à l’Université Paris-Sud en particulier. En organisant les compétences du C2i au travers d’un référentiel commun à toutes les universités, la circulaire du 4 août 2008 confère à ce certificat une validité nationale. «C’était notre but, mettre en place une formation adaptée certes, mais qui réponde aux mêmes exigences en terme de validation des compétences validées. Ce n’est en aucun cas une formation plus facile» tient à préciser Hélène Maynard. Et c’est bien dans cette optique que la cellule C2i de l’Université a préparé cette formation comme le raconte le responsable Yves Calvez : «Nous avons d’abord passé une demi-journée avec Jean-Luc Krust afin qu’il nous initie au fonctionnement du logiciel, ce qui nous a permis de préparer les cours et les interventions en les adaptant à ces nouvelles contraintes». Et des contraintes, il y en a. «Lorsque vous êtes non voyant, tout se complique. Si je veux enregistrer un document, je n’ai qu’à cliquer sur l’icône enregistrer sous. Lorsque vous êtes non voyant, vous devez dérouler tous les menus un par un pour sélectionner la bonne fonction». Pour gagner du temps, une seule solution, mémoriser tous les raccourcis clavier. Cela demande beaucoup de travail et nécessite une très bonne concentration. D’autant qu’il faut être capable de suivre les conseils des enseignants tout en écoutant les instructions vocales de logiciel ! Mais quand la p8&9_c2inonvoyants_2motivation est là, les résultats suivent. «Ces personnes ont une capacité de mémorisation étonnante et une très grande facilité pour s’adapter à des environnements informatiques différents.» Si le traitement des images est bien entendu la partie la plus ardue, l’objectif général est de produire des documents avec les mêmes exigences de mise en forme et de mise en page que pour des voyants. «L’effet magique, c’est que lorsqu’on reçoit le document, on ne s’aperçoit pas qu’il a été créé par un non-voyant». Et ça marche ! Au terme des deux sessions, l’ensemble de l’équipe tire un bilan extrêmement positif de l’expérience et les cinq personnes qui ont suivi la formation sont enthousiastes. «C’est très gratifiant pour nous d’avoir cette reconnaissance universitaire de nos compétences, qui plus est d’une grande université comme Paris-Sud. Nous avons eu la chance en outre d’être formidablement accueillis. L’IUT d’Orsay a vraiment tout mis en œuvre pour que nous puissions nous concentrer sur notre formation en facilitant notre vie quotidienne pendant les sessions de formation» explique Philippe Boulanger.

Aller plus loin

«Nous sommes ravis et comptons bien pérenniser cette formation» se réjouit Hélène Maynard. L’année prochaine cinq autres formateurs de l’Unadev passeront à leur tour la certification C2i, avec l’objectif qu’ensuite le Centre de formation de l’Unadev prépare lui-même les personnes qui le souhaitent au C2i, toujours en collaboration avec l’IUT d’Orsay. C’est une première en France et chacun espère que cette initiative fera boule de neige. La Directrice du Département Informatique de l’IUT quand à elle, compte bien ne pas s’en tenir là. «Nous réfléchissons à la possibilité de développer d’autres formations ouvertes aux étudiants non voyants, pourquoi pas même un DUT.»

Contact

IUT d’Orsay

Département d’informatique

Hélène Meynard

Helene.meynard@u-psud.fr

Tel : 01 69 33 61 06

Mêlez vous de ceux qui ne vous regardent pas

Tel est le slogan de l’UNADEV. Fondée le 16 novembre 1929 par Jules Hourcade, poète déficient visuel, à Bordeaux, l’association a progressivement étendu ses actions et son périmètre géographique d’intervention. En 2006, elle crée le Centre de formation à distance qui propose des formations à l’informatique, aux langages tels que Jaw, Speakey, aux langues étrangères, au braille intégral ou abrégé. La principale richesse du projet réside non seulement dans la formation à distance mais aussi dans la création d’un véritable réseau de solidarité sur Internet qui permet souvent de rétablir le lien social pour les adhérents les plus isolés.

Pour toute info : www.unadev.com – Tel 0811 703 300 (N° Azur, prix d’un appel local)

Il est l’heure d’ouvrir les yeux

Le handicap est un frein à l’emploi, ce banal et évident constat que personne n’oserait nier, n’en demeure pas moins une réalité consternante pour celui qui le subit. En dépit des avancées de la loi du 11 février 2005 concernant le renforcement de l’obligation d’embauche pour les entreprises privées et le secteur public, les personnes totalement aveugles ou gravement déficientes visuelles demeurent majoritairement exclues du monde du travail. Faute de statistiques, il est impossible de donner des chiffres précis. On estime cependant que sur les quelques 18 000 non voyants dont l’âge est compris entre 18 et 60 ans, seulement 7 000 ont une activité professionnelle. Pour les déficients visuels, le taux de chômage est donc bien supérieur aux 17% constatés pour l’ensemble des personnes handicapées.

Source : Comité National pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CNPSAA)

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