Une approche éthique de la maladie d’Alzheimer

En France, 860 000 personnes sont atteintes de cette maladie neurodégénérative actuellement incurable. En 2020,  chaque famille sera touchée. Même si la maladie d’Alzheimer reste stigmatisante, le regard de la société a changé, les malades et les proches sont mieux informés. L’approche éthique s’organise. L’Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer a été créé le 10 décembre 2010 et placé sous la direction d’Emmanuel Hirsch, professeur à l’Université Paris-Sud et directeur de l’Espace éthique/AP-HP, lequel nous propose de découvrir quelques-unes des thématiques de recherche explorées aujourd’hui.

© M.LECOMPT/PSUD Magazine

La maladie d’Alzheimer permet de formuler des questions d’ordre éthique qui prennent une signification particulière dans un contexte parfois extrême. C’est dire que de tels enjeux concernent d’autres maladies chroniques neurologiques dégénératives et favorisent de manière plus générale l’approche éthique. Dans le cadre de l’Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer (EREMA) nous avons identifié quelques thématiques de recherche dans ce domaine : j’en présente certains axes.

Quels droits pour la personne vulnérable ?

Les représentations sociales de la maladie d’Alzheimer ne se limitent pas aux conséquences de l’altération des fonctions cognitives et à la perte d’autonomie. Cette maladie est associée à la démence, elle suscite le rejet et parfois la relégation dans un enfermement au domicile ou en établissement. La mobilisation citoyenne justifie de mieux penser la place de la personne malade et de ses proches dans la cité, la reconnaissance de sa citoyenneté notamment dans le droit d’accès aux dispositifs et activités qui contribuent à son bien-être et au sentiment d’appartenance à la communauté. Il convient de lui reconnaître une place dans la sphère publique.

Les questions relatives au respect de la personne dans ses droits, ses choix et ses préférences constituent parfois un défi qui sollicite nombre de controverses dans les pratiques au quotidien. Il apparaît nécessaire de mettre en place les mesures de sauvegarde de ses intérêts propres alors que sa perte progressive d’autonomie est souvent perçue de son point de vue comme une déchéance, une mise en cause de sa dignité. Les  responsabilités sont d’autant plus fortes à l’égard d’une personne dont s’accentuent les vulnérabilités du fait des  évolutions de sa maladie. Ainsi, comment concilier respect de la sphère privée, de la confidentialité dans un contexte de dépendance et d’interventions pluridisciplinaires qui visent progressivement à compenser l’incapacité de la personne à s’exprimer en tant que telle ?

Pour une égalité de l’accès aux soins

D’importantes inégalités d’accès aux soins sont observées en défaveur des personnes âgées présentant des difficultés de communication et de comportement. Trop habituellement les critères d’âge, de troubles cognitifs, de dénutrition, d’inaptitude à consentir entravent le parcours de soin et exposent les personnes à des pertes de chance (des services d’urgence jusqu’aux structures spécialisées) ? Certains traitements parfois vitaux sont ainsi interrompus ou non engagés. Quels dispositifs mettre en œuvre pour pallier cette injustice ? Comment mieux former les professionnels intervenant dans la chaîne du soin (notamment dans les services d’urgence) à une plus juste prise en compte de la personne atteinte des troubles liés aux maladies neurologiques dégénératives ?

Comment améliorer l’information ?

L’anticipation du diagnostic et de l’annonce de la maladie d’Alzheimer dans un contexte de faiblesse de nos réponses  médicales et de fragilité des structures de suivi et d’hébergement pose aussi nombre de questions fortes qui imposent de définir des règles. Ainsi, comment préciser les enjeux éthiques du diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer sur des personnes consultant pour des troubles cognitifs encore bénins et/ou des craintes générées par des antécédents  familiaux ? La connaissance actuelle au titre de la recherche de facteurs de risque élevé (génotype APOE4/E4) en population pose ainsi certaines questions qui justifient des éclaircissements éthiques. Le diagnostic précoce des malades jeunes suscite des enjeux paradoxaux qui nécessitent des modalités d’accompagnement spécifiques et plus tard d’accueil en établissement présentant leurs caractéristiques propres d’accompagnement adapté.

Dans le domaine de la recherche biomédicale également les enjeux éthiques apparaissent déterminants. Comment faire en sorte que l’information  communiquée sur les essais soit compréhensible par les personnes ? Ne faudrait-il pas définir des normes dans ce  domaine (de même que pour le consentement aux soins) ? Plus généralement, comment faire en sorte que les personnes malades et leurs familles participent à la recherche comme des acteurs de la recherche, c’est-à-dire puissent définir en partenariat avec les chercheurs les objectifs de la recherche, ses modalités, les critères d’évaluation ? Les personnes qui ne peuvent plus donner leur consentement, qui résident en établissement et/ou font l’objet d’une mesure de protection  juridique sont particulièrement vulnérables. Pour autant, elles ne sauraient être privées de l’opportunité de participer à la recherche. Comment faire en sorte de les inclure en tenant compte de leur vulnérabilité ?

Les enjeux des futurs  traitements causaux de la maladie d’Alzheimer et donc des essais thérapeutiques, impliqueront des personnes  appartenant à des groupes définis comme à haut risque (notamment génétique) susceptibles d’être volontaires pour des recherches menées de nombreuses années précédant l’âge auquel s’exprime le plus souvent la maladie. Les conditions de leur recrutement imposent certains approfondissements afin d’éviter tout risque inacceptable.

Enfin, les TIC sollicitées  actuellement dans la perspective du maintien de l’autonomie ou de la compensation de la perte d’autonomie de la  personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, permettent d’envisager des évolutions prometteuses mais qui suscitent  nombre de dilemmes notamment d’ordre éthique. Entre sécurité de la personne, surveillance à distance pour favoriser des interventions si nécessaire, et captation de ses activités dans sa sphère privée, mise en cause de ses libertés dans le cadre d’un contrôle, l’équilibre paraît parfois incertain. Il convient de préciser un cadre qui, dans la singularité des  situations générées par la maladie d’Alzheimer, ne saurait se limiter aux grands principes que s’efforce d’accompagner la CNIL.

Ces quelques points permettent de mieux saisir l’enjeu d’un investissement dans ce champ des plus complexes, en fidélité avec les valeurs de la démocratie.

EH

Une maladie difficile à définir
En juin 2011, l’Espace éthique Alzheimer a réalisé, avec l’institut HCK, une étude en ligne quantitative et qualitative   portant sur les différentes dépendances liées à la maladie d’Alzheimer. L’analyse des résultats vise à déterminer la nature et la forme des dépendances liées à cette maladie mais également à mieux comprendre les attentes légitimes dans la prise en charge de ces dépendances. Un des premiers résultats issu de cette enquête est que la maladie d’Alzheimer apparait comme une affection difficile à définir. L’intégralité de l’étude est accessible : www.espace-ethique-alzheimer.org

CONTACT :
Emmanuel HIRSCH
Département de Recherches en Ethique, emmanuel.hirsch@sls.aphp.fr

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